Politique Internationale — Dans le contexte actuel de pandémie de Covid-19, avez-vous mis entre parenthèses vos initiatives en faveur de la durabilité ?
John Pearson — La pandémie que nous connaissons aura eu le mérite de montrer à quel point le monde est capable de faire front face à une crise d’une telle ampleur. En pareilles circonstances, il n’est pas simple d’imaginer une réponse mondiale cohérente protégeant à la fois la santé des populations et l’économie mondiale, tout en favorisant le développement durable. Afin de tenir compte de ces différents aspects, nous avons défini plusieurs axes prioritaires. Le premier concerne, bien évidemment, la protection de la santé de la population. À cet égard, nous nous devons de protéger l’économie mondiale afin de préserver dans toute la mesure du possible les revenus et les moyens de subsistance des individus au vu de la récession qui se profile. Tandis que nous nous attachons à atteindre ces objectifs, la Commission européenne et de nombreux États membres ont réaffirmé leur engagement envers le Pacte vert pour l’Europe, précisant que la reprise économique de l’UE pourrait, en fin de compte, accélérer la transition vers une économie circulaire neutre en carbone grâce à des investissements dans les technologies propres, l’intelligence artificielle et la digitalisation. Pour cela, les politiques économiques nationales et européennes de lutte contre le coronavirus et les crises climatiques devraient être parfaitement alignées. Se servir de ce tournant de l’Histoire pour encourager l’innovation et la modernisation pourrait renforcer le système économique et le protéger contre des crises ultérieures, ce qui constituerait une approche bénéfique pour tous.
P. I. — Depuis quand l’entreprise DHL s’engage-t-elle en faveur de l’écologie ?
J. P. — Quelques informations d’abord pour mesurer notre périmètre : DHL Express est une marque du Groupe Deutsche Post DHL, qui a généré un chiffre d’affaires de plus de 63 milliards d’euros en 2019. Avec près de 380 000 collaborateurs répartis dans plus de 220 pays et territoires, DHL est le leader mondial du marché de la logistique. Le groupe Deutsche Post DHL dévoile depuis 2003 ses performances en matière de développement durable. Nous avons commencé à véritablement exploiter ce système de suivi il y a plus de dix ans, lorsque nous avons posé les bases d’un marché de la logistique plus durable grâce à un ensemble de mesures de protection du climat et de l’environnement. Depuis lors, nous mesurons et gérons nos indicateurs clés de performance environnementale grâce à nos systèmes financiers afin de suivre efficacement nos progrès en matière d’efficacité carbone. En témoigne l’objectif particulièrement ambitieux que nous nous sommes fixé en 2017 : atteindre zéro émission d’ici à 2050.
P. I. — Comment concrétisez-vous ces ambitions compte tenu des exigences croissantes des clients ? L’urgence économique pourrait-elle engendrer une baisse de l’activité ?
J. P. — Chez DHL, nous considérons que la responsabilité sociale de l’entreprise s’inscrit pleinement dans notre stratégie consistant à relier les gens et à améliorer leur quotidien. Par exemple, la hausse de la demande de solutions de transport engendrée par le succès durable du commerce en ligne constitue l’un des grands moteurs du commerce mondial. Toutefois, le transport est à l’origine d’environ 14 % des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle de la planète, auxquelles nos activités contribuent elles aussi. C’est pour cette raison que nous nous employons à réduire les émissions issues de nos activités logistiques afin de les rendre nulles d’ici à 2050, et que nous avons défini plusieurs objectifs intermédiaires ambitieux à l’horizon 2025 afin d’y parvenir. Selon l’approche retenue par l’initiative Science Based Targets, nous nous sommes engagés à améliorer de 50 % notre efficacité carbone par rapport à nos performances de 2007. Nous sommes par ailleurs en voie d’assurer 70 % de nos services sur le premier et le dernier kilomètre à l’aide de solutions zéro émission.
Afin d’illustrer notre engagement à respecter les standards mondiaux en matière de pratiques commerciales légales et éthiques, de bien-être de nos collaborateurs et de leurs communautés, et de protection de l’environnement, nous investissons plus de 1 milliard d’euros chaque année dans des infrastructures de pointe, notamment des avions plus sobres en carburant, des technologies vertes pour nos hubs et agences, et des flottes plus vertes. Ainsi, DHL a commandé en 2018 14 nouveaux Boeing 777F, plus économes en carburant et plus fiables. Nous avons déjà réceptionné 10 de ces avions qui réduisent de 18 % les émissions de CO2, et 4 entreront en service en 2021. En tout, nous exploitons une flotte de 260 avions dédiés assurant des liaisons aériennes vers 220 pays et territoires. Nos quelque 100 000 collaborateurs partagent un même objectif : offrir la meilleure qualité possible à nos 2,6 millions de clients répartis partout dans le monde.
P. I. — De quelle façon informez-vous vos clients à propos de cette situation d’urgence climatique ?
J. P. — Nous sommes bien conscients que les clients et consommateurs d’aujourd’hui réclament des solutions respectueuses de l’environnement. Plus de la moitié des demandes de nos principaux clients incluent des exigences de respect de pratiques responsables, y compris en matière de protection du climat, dans certains des processus logistiques les plus délicats. En tant que spécialiste international, nous sommes en permanence sur les routes pour nos clients, et nous sommes conscients de la responsabilité que nous confère l’impact environnemental associé à cette présence mondiale.
Sur le plan des émissions de CO2, notre objectif consiste à « consommer moins » et à « consommer propre » en rendant les chaînes d’approvisionnement de nos clients plus respectueuses de l’environnement grâce à des véhicules alternatifs, des panneaux solaires et l’utilisation d’électricité verte dans nos dépôts et entrepôts — des mesures qui nous ont déjà permis de porter à 77 % la part d’électricité verte que nous consommons à l’échelle mondiale. La division Express a par exemple investi afin de se doter de solutions de livraison alternatives zéro émission, à l’instar de la centaine de véhicules propres déployés sur le territoire français. En outre, nous offrons à nos clients la possibilité de compenser leurs émissions de gaz à effet de serre — issues des transports et de la logistique associée à nos services — grâce à notre projet de protection climatique certifié Gold Standard par un organisme externe. Nos experts imaginent également des concepts sur mesure de réduction de leurs émissions de CO2, leur permettant de protéger l’environnement tout en réalisant des économies.
P. I. — De quelle façon sensibilisez-vous vos collaborateurs ?
J. P. — Nous estimons que l’implication des collaborateurs est indispensable à la réalisation de notre objectif environnemental. Ainsi, nous prévoyons de certifier « Spécialistes GoGreen » pas moins de 80 % d’entre eux d’ici à 2025. Nous leur proposons des formations visant à améliorer leurs connaissances de base en matière de protection de l’environnement et à leur donner les moyens de soutenir les objectifs environnementaux du groupe dans leur travail quotidien. Outre ces formations, nos collaborateurs peuvent s’impliquer encore davantage en suivant des modules complémentaires et en contribuant à des activités comme notre projet de conservation des forêts qui prévoit de planter 1 million d’arbres chaque année d’ici à 2025.
P. I. — La logistique est-elle incompatible avec la protection du climat ?
J. P. — Afin de réduire le plus possible notre impact environnemental, nous avons défini des objectifs clairs et mis en œuvre un ensemble de mesures de protection intégrées à notre Code de conduite, à notre Code de conduite du fournisseur ainsi qu’à notre Politique environnementale et énergétique. Parallèlement à la modernisation constante de nos flottes et au recours accru aux énergies renouvelables, nous nous employons à établir des standards de mesure des émissions de gaz à effet de serre, à promouvoir la mobilité électrique, à développer et populariser les carburants alternatifs tels que les biocarburants et les e-carburants, et à soutenir les initiatives de réduction des nuisances sonores.
P. I. — Envisagez-vous un avenir dans lequel les produits et les services seraient uniquement acheminés via des circuits courts ?
J. P. — Actuellement, une part importante des échanges, de même que l’approvisionnement des clients de la distribution, ont lieu au sein d’un même pays ou entre pays limitrophes, via des circuits courts et non systématiquement des voies commerciales internationales. Toutefois, l’essor de la mondialisation permet aux clients — consommateurs comme industriels — d’acheter des produits et des biens fabriqués sur des marchés plus lointains. Les avantages en termes de coûts et de volumes jouent souvent un rôle important dans ces décisions. Par ailleurs, la mondialisation permet à de nombreuses entreprises de proposer les biens qu’elles produisent à des marchés plus vastes que le marché national. Cela favorise la croissance économique, et permet aux entreprises de développer leur chiffre d’affaires, et donc leur prospérité ainsi que celle de leurs collaborateurs. Nous constatons que, malgré la pandémie de Covid-19, les échanges mondiaux ne se sont pas interrompus, ce qui, dans ce contexte, est essentiel pour maintenir une base économique qui servira de tremplin une fois la crise passée. La mondialisation joue actuellement un rôle primordial dans la protection de la santé des populations, car la demande des pays en matériel médical et en équipements de protection individuelle est bien souvent supérieure à leurs capacités de production nationales. Ces biens font l’objet de toutes les convoitises, et leur acheminement est rendu possible par les efforts de logistique déployés en coulisses. Cela étant, je suis convaincu que le commerce mondial est bien trop important pour disparaître. Il doit se perpétuer, et il se perpétuera. Il jouera un rôle fondamental pour aider les États à reconstruire leur économie après la crise. Si l’Histoire nous a appris une chose, c’est bien que le protectionnisme et l’isolationnisme ne sont pas un terreau fertile pour la reprise économique.
P. I. — Pouvons-nous imaginer qu’un jour l’empreinte écologique d’une expédition puisse être vérifiée à l’aide d’un simple code-barres ?
J. P. — Nous surveillons d’ores et déjà les émissions issues de toutes nos activités, et présentons à nombre de nos clients professionnels des rapports sur notre empreinte carbone. La division DHL Express est no 1 du transport international express, avec un chiffre d’affaires de 17,1 milliards d’euros en 2019. Nous assurons chaque jour le traitement d’environ 1 million d’expéditions à horaires définis, soit 38 % de parts de marché dans le monde sur le secteur du transport express international en 2019. Dans une entreprise fonctionnant en réseau telle que DHL Express, il est possible de calculer des valeurs moyennes pour les émissions de CO2 d’un segment précis de ce réseau, mais non pour celles d’une expédition donnée. Notre objectif principal consiste à réduire l’empreinte carbone de l’ensemble de notre réseau, et par là même celle de chaque expédition. Pour ce faire, nous procédons à des investissements de grande ampleur afin de doter nos hubs et nos agences de technologies d’exploitation vertes. Nos clients ont, en outre, la possibilité de neutraliser les émissions associées à leurs expéditions grâce à nos services de neutralité climatique reposant sur ces fameuses valeurs moyennes. La neutralité climatique des expéditions est déjà incluse dans certains services que nous proposons à nos clients particuliers.
Cet entretien a été réalisé en novembre 2020.