Politique Internationale — Un an s’est bientôt écoulé depuis le début de la crise sanitaire et la pandémie est toujours là. Avec un peu de recul, comment avez-vous encaissé le choc ?
James Hussey — Oberthur Fiduciaire n’a pas besoin d’une pandémie pour se préparer à affronter des crises. Le mode de fonctionnement de l’entreprise fait que nous sommes sans arrêt sur le qui-vive, pour prévenir les difficultés ou y faire face. La nouveauté, c’est l’ampleur de l’événement : celui-ci dépasse l’imagination. Que ce soit dans les sphères gouvernementales ou dans les milieux d’affaires, personne n’avait imaginé de telles secousses. On a beau chercher des précédents, on n’en trouve pas : en 2010, l’éruption du volcan Eyjafjallajökull en Islande a certes paralysé une partie du trafic aérien de la planète, mais seulement de manière temporaire. Avec le Covid-19, la crise est globale ; elle touche quasiment tous les pans de l’économie. Au sein d’une même entreprise, si certains volets sont épargnés, d’autres ne le sont pas. Chez Oberthur Fiduciaire, que ce soit l’outil de production, le département commercial ou encore le marketing, l’ensemble des branches sont impactées. Il n’empêche, nos usines n’ont jamais cessé de fonctionner. Certains de nos concurrents ne peuvent pas en dire autant ; nous n’en tirons pas de gloire particulière mais, depuis le début, nous répondons présent.
P. I. — Le billet de banque est un élément essentiel de la vie en société, partout dans le monde. Par définition, son utilisation est soumise aux virus. Depuis l’irruption du Covid, comment se passent les discussions avec vos clients. Quelles craintes ont-ils ? Que leur proposez-vous ?
Henri Rosset — Oberthur Fiduciaire travaille pour plus de soixante-dix pays répartis sur toute la surface du globe. Nous avons donc été immédiatement sensibilisés à l’essor de la pandémie. Dès son apparition, nos clients nous ont fait part de leurs préoccupations quant à la transmission du coronavirus par l’intermédiaire du maniement des espèces. Le dossier n’est pas nouveau : depuis plus de quinze ans, nos travaux en matière de recherche-développement intègrent la protection sanitaire, pour parer à la moindre menace. Les mesures barrières ou encore les opérations de nettoyage, avec par exemple la désinfection des surfaces, font partie de notre quotidien. Mais surtout, la fonctionnalité de nos produits fait qu’ils disposent de propriétés actives contre les microbes, les bactéries et, par extension, une large gamme de virus. Sans entrer dans des détails trop techniques, le processus de fabrication des billets intègre des composés actifs contre les agents pathogènes. En résumé, ces procédés chimiques accélèrent la mortalité de ces agents. Pour revenir au coronavirus, il sert d’accélérateur : avant même que nos clients aient pu s’inquiéter, nous leur avons indiqué que, grâce à notre savoir-faire, allié aux dernières innovations technologiques, la capacité de protection de nos billets avait été renforcée. Parce que nous sommes des pionniers, nous sommes en mesure de développer encore plus vite des applications de grande ampleur. À la source, il y a toujours des choix industriels judicieux.
P. I. — Précisément, comment votre industrie s’adapte-t-elle à la nouvelle donne ? Qu’est-ce qui change ? Et qu’est-ce qui ne change pas ?
J. H. — L’expression est un peu galvaudée mais elle dit bien ce qu’elle veut dire : nous sommes entrés dans un « nouveau monde ». Au printemps, lors du premier pic de la pandémie, les ateliers ont dû faire preuve de flexibilité. Cette souplesse est toujours à l’ordre du jour : encore plus que par le passé, nos chaînes de production savent composer avec les changements de rythme. Pousser quand il faut pousser, ralentir quand il faut ralentir. L’approche commerciale subit, elle aussi, des modifications : comme la cadence des voyages a diminué, les contacts sont balisés différemment. Nous devons être capables de les entretenir à distance. Aujourd’hui, nous sommes plus sélectifs dans nos déplacements. Les choses reprendront peut-être un jour leur cours normal ; en attendant, il faut s’adapter.
P. I. — Puisque l’on parle des équipes, quelles sont leurs craintes face à la pandémie ?
H. R. — Il ne faut jamais oublier que nous faisons un métier d’experts. Cela signifie des règles extrêmement scrupuleuses au service de procédures sensibles débouchant elles-mêmes sur des produits uniques en leur genre. Un billet de banque renvoie à une somme d’acquis techniques et d’approches esthétiques. Quand je parle d’« orfèvrerie », le terme n’est pas exagéré. Étant entendu qu’à tous les étages de l’entreprise on se met au diapason de cette combinaison de technologie et d’expression artistique.
P. I. — L’opinion publique est friande des procédures de sécurisation qui accompagnent la fabrication des billets. Peut-être parce que les gens vont au cinéma et que les histoires de fausse monnaie ont du succès. Les billets de banque d’aujourd’hui sont-ils devenus impossibles à travestir ?
J. H. — La situation chez Oberthur Fiduciaire n’est pas très éloignée de celle des autres entreprises. Au début de la crise sanitaire, les salariés ont affiché des craintes légitimes sur les risques à poursuivre l’activité et sur le niveau de protection. Ils ont été immédiatement rassurés. Non seulement les outils et les procédures nécessaires ont été mis en place dans les meilleurs délais, mais la communication auprès des équipes n’a souffert d’aucun temps mort. Un principe absolu prévaut : celui de la transparence. Nous sommes dans un monde où les mesures de protection sont destinées à perdurer. Oberthur Fiduciaire est un groupe international : les questions de sécurité sont traitées avec la même intensité sur l’ensemble de nos sites. Reste que d’une implantation à l’autre, des aménagements spécifiques sont toujours possibles, compte tenu de la nature de l’activité.
P. I. — Plus de protection sanitaire d’un côté, plus de sécurisation de l’autre : ces deux points impliquent-ils une utilisation différente du billet de banque ?
H. R. — Jamais la sécurisation des billets de banque n’a été aussi poussée. Il n’y a rien de bravache dans cette assertion, c’est simplement la réalité. Au fil des années, les innovations se sont accumulées pour faire des billets des documents infalsifiables à un stade inégalé. Le choix du substrat, c’est-à-dire le papier, est le premier stade. Après, entre les nouvelles technologies de filigrane qui permettent d’obtenir des effets particulièrement réalistes et encore plus difficiles à contrefaire, les fils de sécurité aux effets visuels dynamiques ou de changements de couleur, la technicité des procédés, des encres et des designs mis en œuvre lors de l’impression du billet, l’apposition de foils holographiques ou laminés, la création de fenêtres transparentes et le vernissage post-impression, il y a une multitude d’éléments qui s’additionnent pour une sécurisation optimale.
Ni Oberthur Fiduciaire ni les autres opérateurs ne s’arrêtent en si bon chemin : la protection de l’authenticité des billets est une quête perpétuelle ; d’ailleurs, si l’on se projette dans un futur plus ou moins éloigné, je suis sûr que nous, les professionnels, continuerons d’être impressionnés par les progrès accomplis.
P. I. — Qu’il s’agisse des parades face à la crise sanitaire ou de la fabrication normale des billets, les attentes de vos clients sont-elles globalement les mêmes ? Ou, selon l’état d’une économie, les demandes sont-elles modulables ?
J. H. — La sécurisation des billets de banque a ceci de remarquable qu’elle porte sur de très grosses quantités. Les infrastructures d’Oberthur Fiduciaire sont en mesure de fabriquer quelque 5 milliards de billets par an. Pour chacun de ces billets, la même procédure ultra-rigoureuse est appliquée. Souvent, la technicité à haute valeur ajoutée est présentée comme l’ennemie de la massification. Nous prouvons au contraire que nous sommes capables de produire des volumes importants ultra-protégés.
P. I. — Vous insistez régulièrement l’un et l’autre sur le modèle intégré d’Oberthur Fiduciaire ? En quoi cette caractéristique est-elle un avantage ?
J. H. — Pas du tout, les conditions d’utilisation des billets de banque ne varient pas. D’abord, il n’est pas vain de rappeler que les points de vigilance accrue — sur la santé et la sécurisation — ne modifient pas l’aspect des billets. Nous ne mettons pas de nouveaux produits entre les mains des consommateurs. Ensuite, l’incorporation de tel ou tel composé actif supplémentaire n’a aucune incidence sur la fonctionnalité du billet : il ne s’altère pas davantage que la moyenne, étant entendu que la durée de circulation, selon les coupures, oscille entre neuf mois et quatre ans. Précisons enfin que l’ensemble de ces améliorations entraîne peu de surcoûts pour le processus de fabrication. Tout juste une légère majoration, à la marge.
P. I. — Vous parlez peu de la concurrence. Est-ce un choix délibéré ? Ou le reflet du fonctionnement d’un secteur économique où chacun avance ses pions ?
H. R. — Pour parler un peu crûment, il n’y a pas de billet de riche et de billet de pauvre. Par rapport aux économies matures, les pays en voie de développement ont les mêmes souhaits qui répondent à de fortes exigences de sécurité et de protection sanitaire. Je n’ai pas d’exemple en tête d’un pays qui, sous prétexte que son économie accuse du retard, rognerait sur la qualité de ses billets de banque. Le paiement en espèces est un acte tellement important pour le fonctionnement des sociétés qu’il ne supporte pas des investissements au plus juste.