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Golfe : le Koweït à la manœuvre

L’une des clés qui permet de mieux comprendre les turbulences actuelles au Moyen-Orient (entre tentatives de sauvetage de l ’accord sur le nucléaire iranien et extension éventuelle des fameux « accords d’Abraham » avec Israël) se trouve au Koweït. Le ministre des Affaires étrangères de ce petit État du golfe Arabo-Persique, Ahmad Nasser al-Sabah, 50 ans, a été la cheville ouvrière du rapprochement récent entre le Qatar et ses frères ennemis d’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis, après trois ans et demi de gel de leurs relations. Fils cadet de l ’ancien premier ministre du Koweït, prince de la dynastie al-Sabah qui règne sur l ’Émirat depuis le XVIII e siècle, il a fait toutes ses études supérieures en France et connaît bien l ’Europe. Il y voit un modèle pour le Conseil de coopération du Golfe (CCG) qu’il souhaite rendre plus sûr et plus prospère. Pour lui, la normalisation des relations avec l ’État hébreu est secondaire par rapport à la nécessité de relancer le processus de paix avec les Palestiniens. Quant au dossier nucléaire, il est clair, explique-t-il, que tout nouvel accord devra tenir compte des inquiétudes des pays du Golfe face aux menées hégémoniques de l ’Iran dans la région.
F. C.

François ClemenceauIl y a trente ans, votre pays a été libéré de l’occupation irakienne par une coalition multinationale qui agissait sous mandat des Nations unies. Quel bilan tirez-vous de cette intervention ?

Ahmad Nasser al-Sabah — Cette année, en effet, nous fêterons le 60e anniversaire de notre indépendance et le 30e anniversaire de notre libération (1). Comme vous le rappelez, nous avons été envahis puis libérés. Cette double expérience — que nous partageons avec la France — nous invite à savourer avec plus d’intensité que la plupart des pays ce sentiment d’appartenance à un État et le caractère presque sacré de la citoyenneté qui l’accompagne. Nous avons le devoir de veiller à ne plus jamais perdre cette souveraineté. Après votre libération à la fin de la Seconde Guerre mondiale et après notre libération en 1991, nous avons tous cru à un nouvel ordre mondial fondé non plus sur la loi du plus fort mais sur le respect du droit afin que plus aucun pays ne puisse en envahir un autre sans avoir à en payer le prix. Cette espérance est toujours là et il appartient à chacun de la traduire dans la réalité.

F. C. La normalisation entre le Qatar, d’un côté, et l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l’Égypte, de l’autre, a permis en janvier dernier de mettre fin à trois ans et demi de blocus (2). Quel a été votre rôle dans ce processus ?

A. N. S. — La période 2017-2021, qui vient de s’achever, a été très sombre pour les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) et pour le monde arabe en général (3). Cette instance a été créée il y a quarante ans, juste après le déclenchement de la guerre Iran-Irak. Malgré tous les événements dramatiques qui ont successivement secoué la région et le monde musulman — l’invasion du Koweït par l’Irak, les attentats du 11 septembre 2001, la crise financière mondiale de 2008, puis les prétendus « printemps arabes » en 2011 —, le CCG est toujours resté debout. Rien ne l’a fait vaciller et rien n’a pu nous désunir. Puis est arrivée la brouille avec le Qatar en 2017 ; et là, le CCG, qui avait jusqu’alors tenu bon au milieu des tempêtes, s’est écroulé. C’est pourquoi il était vital d’essayer de résoudre cette crise. Car nous considérons que le Conseil de coopération du Golfe est l’un des outils qui contribuent à notre sécurité nationale. C’est un peu, pour nous, ce que l’Union européenne représente pour les Français et les Allemands : un pôle de stabilité et de prospérité que nous chérissons.

F. C.Comment êtes-vous parvenu à réconcilier le Qatar avec ses frères ennemis, à Riyad et à Abu Dhabi, qui lui reprochaient, entre autres, son soutien aux Frères musulmans et sa relation ambiguë avec l’Iran ?

A. N. S. — Nous n’avons pas ménagé notre peine et nos efforts. Notre premier souci était de faire comprendre que ce qui nous rassemblait était plus fort que ce qui nous divisait. Le problème de départ était que les représentants de ces …