Depuis près de cinquante ans, on prédit la chute imminente de la République islamique sous l’effet conjoint des protestations populaires et des sanctions internationales. Depuis deux décennies, on annonce que la bombe atomique iranienne sera opérationnelle d’ici quelques mois. La perte de légitimité du clergé chiite, le renforcement des factions radicales, la corruption, la répression et la militarisation croissante du pouvoir sont régulièrement disséqués pour arriver à la conclusion que, cette fois-ci, le processus de changement de régime est bel et bien enclenché… Un peu de modestie et de réalisme impose au moins de poser un point d’interrogation. Aux slogans éculés de la République islamique répondent en Occident d’autres slogans aussi naïfs qu’inefficaces qui ont conforté la stabilité institutionnelle du pays. Une stabilité que l’on ne saurait expliquer par la seule répression politique, culturelle et sociale.
Les hypothèses de changement politique méritent cependant d’être analysées, non pas pour calculer le temps qui reste au « régime des mollahs », mais simplement pour tenir compte du rôle de nouveaux acteurs et de nouveaux rapports de force. Le logiciel politique de l’Iran a en effet changé avec la signature, le 14 juillet 2015, de l’accord de Vienne sur le nucléaire (JCPOA Joint Comprehensive Plan Of Action). L’hostilité violente qu’il a suscitée en Arabie, en Israël et dans l’Amérique de Donald Trump suffit à confirmer l’importance de cet accord et surtout de la négociation qui l’a précédé. Au-delà du dossier nucléaire, ce texte marquait l’émergence de l’Iran — quel que soit son régime politique — en tant que nouvelle puissance régionale reconnue par la communauté internationale. De fait, il convient de prendre l’Iran au sérieux, dans sa complexité, et de ne plus se laisser fasciner, pour reprendre l’expression de Maxime Rodinson (1), par le seul prisme de l’islam politique et du pouvoir du clergé chiite.
La question qui se pose aujourd’hui est moins l’avenir du régime islamique qui sera réglé par les seuls Iraniens, ou la rivalité sans issue entre « conservateurs » et « réformateurs », qu’une éventuelle évolution des rapports de force entre le clergé chiite, les anciens combattants et les technocrates islamistes. Quant au « peuple iranien » se levant en masse pour renverser les despotes, cette image reste un mythe. En réalité, l’immense majorité de la population est en plein désarroi, écrasée par la superposition des drames politiques, de la crise économique et de la pandémie de Covid. Le retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire en mai 2018 a fermé les voies de changement que pouvaient laisser entrevoir l’ouverture internationale et le fait même que le Guide suprême se soit résolu à négocier avec le « Grand Satan ». Un espoir a été brisé et les tensions politiques internes ont été exacerbées, profitant aux plus radicaux qui ont beau jeu de dépeindre l’Amérique sous les traits d’un État voyou au-dessus des lois. Le paysage politique intérieur iranien est totalement désorganisé. Toutes les composantes traditionnelles ont perdu leur légitimité, qu’il s’agisse du clergé radical, des technocrates ou des modérés pragmatistes comme le président sortant Hassan Ruhani.
La seule force qui …
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