Le 20 janvier dernier, un nouveau président américain, âgé de 78 ans et d’allure fragile, prêtait serment sur la colline du Capitole, quatorze jours après l’assaut rageur lancé contre le bâtiment par des fans de son prédécesseur Donald Trump. Joe Biden était tout ce que ce prédécesseur n’était pas. Un « insider » de Washington ayant passé quarante-six ans au Sénat puis, comme vice-président, huit ans à la Maison-Blanche, et donc rodé à tous les tours et détours de la pratique politique washingtonienne ; alors que Trump, lui, était un outsider porté par le pays profond, venu renverser la table. Un calme, parfois jusqu’à l’ennui, quand l’ancien président était provocateur, drôle, dangereusement éruptif, épuisant. Un empathique soucieux de réconciliation, alors que Trump aime au contraire porter le fer dans la plaie, quitte à aggraver les blessures. Un centriste, appelant à jouer collectif et plaidant pour un retour coordonné au multilatéralisme, tandis que Trump, un nationaliste affirmé, affectionne les solos unilatéraux, les approches asymétriques, le chaos (créatif ou destructeur) et l’effet de surprise.
Dans un pays en état de choc après la violence du coup de sang collectif du 6 janvier, traumatisé par le Covid et par une campagne électorale qui a mis à nu des divisions politiques béantes, les mots bien choisis du discours d’investiture de Joseph Robinette Biden, prononcés en présence de près de 25 000 hommes en armes de la garde nationale, eurent, tel un baume sur les plaies ouvertes de la nation, un effet apaisant. Le nouveau président en appela au dialogue, au bon sens et aux « meilleurs anges » de l’âme américaine pour inciter à « un nouveau départ ». Il rappela que, malgré leurs divisions, les citoyens d’Amérique devaient réapprendre à vivre ensemble, après quatre ans de confrontation hystérique des deux camps politiques. « La politique n’a pas à être une fournaise brûlante qui détruit tout sur son passage… Entendons-nous, regardons-nous, les désaccords ne doivent pas mener à la désunion », lança l’ancien vice-président de Barack Obama désormais président. D’ordinaire peu éloquent, Joe Biden semblait avoir trouvé les accents « lincolniens » que l’heure exigeait.
Mais en l’écoutant, les Américains, dans leur cœur, s’interrogeaient : était-il encore possible de sortir de la « fournaise » dont leur parlait le frêle locataire de la Maison-Blanche ? Le « diable Trump », présenté par l’establishment américain comme un accident de parcours, n’allait-il pas revenir ? Et puis, se demandaient nombre d’entre eux, était-il vraiment le « diable », l’origine du mal, ou n’était-il pas plutôt le symptôme d’une crise bien plus grave, appelée à perdurer ? Peut-être même un contrepoids destiné à pointer les manquements des élites et les excès de la gauche, malgré tous ses travers gigantesques ?
Au-delà de l’avenir de Trump, serait-il possible de revenir à une forme de normalité, laissant place à un jeu politique apaisé, où les adversaires des deux partis trouveraient le moyen d’être d’accord pour tolérer leurs désaccords, voire travailler ensemble ? L’empathie et la longue expérience du vieil homme aux cheveux blancs, qui venait d’étendre la main sur la Bible pour promettre de protéger la nation, suffiraient-elles à remettre l’Amérique sur la voie d’une réconciliation ? Ou …
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