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La guerre de Sécession n’est pas finie

Parmi les multiples images de l’insurrection au Capitole, le 6 janvier 2021, celle qui montre un émeutier paradant dans un hall avec le drapeau confédéré, sous les portraits dorés des sénateurs John C. Calhoun et Charles Sumner, a particulièrement frappé les esprits. Symbole des divisions profondes qui conduisirent d’abord sept États du Sud à faire sécession en réaction à l’élection d’Abraham Lincoln en 1860, entraînant bientôt Nord et Sud dans une guerre civile meurtrière qui devait durer quatre ans et laisser le pays dévasté, le drapeau confédéré est depuis toujours l’objet de fantasmes et de provocations. Arboré par le Ku Klux Klan et nombre d’organisations suprémacistes blanches, il est resté l’emblème de la contestation violente du pouvoir fédéral : même l’État du Mississippi, dans le Sud profond, a fini par se choisir en 2020 un nouveau drapeau qui ne fait plus référence au « Stars and Bars », pour se démarquer de l’idéologie raciste à laquelle il est inévitablement associé. Quant aux sénateurs Calhoun et Sumner, ils n’auraient pu être mieux choisis pour illustrer les polarités parfois extrêmes de la vie politique américaine : l’un, ardent défenseur de l’esclavage, est connu pour les discours enflammés où il affirmait que l’homme noir n’était pas, et ne pourrait jamais être l’égal de l’homme blanc ; l’autre, abolitionniste convaincu, fut agressé sauvagement pour avoir osé défendre ses principes devant l’assemblée législative, et en resta handicapé à vie.

Si la période de transition entre la présidence de Donald Trump et celle de Joe Biden a souvent été décrite comme l’une des plus chaotiques de l’histoire de la démocratie américaine, ces échos du passé viennent nous rappeler que le pays n’en est pas à ses premiers épisodes de luttes intestines et de divisions fratricides. Ils nous rappellent également que la question raciale y est inextricablement liée à celle de l’Union nationale, et que l’hostilité à l’encontre de l’État fédéral recouvre souvent une réaction aux politiques de progrès social que celui-ci entend imposer, comme au temps de la Proclamation d’émancipation, prise par le gouvernement militaire en 1863 alors que la guerre faisait encore rage. L’ombre portée de la guerre de Sécession, aux États-Unis, informe encore nombre d’oppositions et de débats. En ce début de XXIe siècle, plus de cent cinquante ans après la reddition du général Lee à Appomattox, elle se fait à nouveau plus épaisse.

Les élections de novembre 2020 se sont déroulées dans un climat de tension grandissante, alors que s’additionnaient les effets d’une crise sanitaire sans précédent, d’une vague d’émeutes raciales et des discours incendiaires d’un président qui refusait d’admettre la possibilité même de sa défaite. Inquiets, plusieurs observateurs craignaient des violences, et le terme de guerre civile a été évoqué plus d’une fois : si le scrutin s’est déroulé dans le calme, laissant espérer un apaisement, la fuite en avant de Donald Trump une fois les résultats connus a de nouveau attisé les passions. Il a multiplié les recours en justice, fait obstruction à la transition démocratique et alimenté les théories les plus délirantes, donnant corps progressivement à la thèse d’une …