Les Grands de ce monde s'expriment dans

Le triangle Paris-Athènes-Ankara, un jeu à somme nulle ?

Peut-on être allié à la fois de la Grèce et de la Turquie ? La réponse est évidemment positive sur le papier, ces deux pays étant membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan) depuis 1952. Pourtant, la paix armée qui existe entre Athènes et Ankara semble de plus en plus fragile, désormais délestée des retenues que furent longtemps la guerre froide, puis la perspective d’une entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Alors que Recep Tayyip Erdogan a en ligne de mire le centenaire de la République — et sa réélection à la présidence — en 2023, la France se trouve, pour de multiples raisons, au premier rang de la confrontation entre les deux pays. La très bonne entente actuelle entre Paris et Athènes est largement due à la dégradation des relations d’Ankara avec l’Europe en général et avec la France en particulier — mais pas seulement. Cette situation diplomatique est la résultante d’évolutions géopolitiques profondes qui mettent en jeu à la fois des intérêts et des valeurs.

Athènes-Ankara, un conflit enkysté

Les relations gréco-turques font partie de ces conflits profondément enkystés dans un substrat historique et identitaire qui est le fruit de la dissolution des empires, comme on en trouve ailleurs, dans les Balkans, dans le Caucase, au Moyen-Orient ou en Asie du Sud.

La période de l’après-guerre avait montré qu’une forme de coexistence relativement paisible entre les deux pays était possible — à l’ombre, il est vrai, de la menace soviétique. Mais, dès le début des années 1970, avec les premières découvertes d’hydrocarbures en mer Égée et surtout la crise chypriote (1974), les tensions se firent plus vives. Dans les années 2000, la « diplomatie des tremblements de terre » (1) et la perspective d’une adhésion de la Turquie à l’Union européenne avaient créé une certaine détente entre les deux États en dépit de l’échec du référendum chypriote sur le plan de réunification de l’île (2004).

En mer Égée, les deux pays n’exercent actuellement leur souveraineté que jusqu’à 6 milles marins. La Grèce se réserve cependant le droit d’appliquer les dispositions de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM) (12 milles), ce qui priverait la Turquie du libre accès à la haute mer (sauf pour ses navires de guerre qui jouissent d’un « droit de passage innocent »). Une telle décision serait considérée comme un casus belli par Ankara qui a toujours refusé que l’Égée soit un « lac grec ». Les deux pays entretiennent également des différends particuliers et anciens sur le statut de certaines îles.

Ces contentieux maritimes ont été ravivés par les découvertes gazières. Une application stricte de la CNUDM, comme le demande Athènes, implique que non seulement des îles isolées comme la Crète et Rhodes génèrent leur propre plateau continental et leur propre Zone économique exclusive (ZEE), mais que même les plus petites comme Kastellorizo, très proche de la Turquie, le fassent. Ankara, pour sa part, refuse tout plateau continental aux îles de la mer Égée. Dans les années 2000, les accords de ZEE entre Chypre et ses voisins (2) …