Isabelle Lasserre — Avez-vous connu des moments de découragement au cours de vos négociations sur le Brexit ?
Michel Barnier — Le découragement ou les doutes se maîtrisent plus facilement quand on travaille collectivement. Cela a toujours été ma méthode, que certains ont bien voulu appeler la « méthode Barnier ». Je n’ai pas eu de moments de découragement car je savais que cette négociation serait longue, compliquée et que les Britanniques allaient jouer la guerre des nerfs. J’en avais déjà eu l’expérience comme commissaire aux services financiers (2010-2014), chargé de mettre en œuvre les recommandations du G20 après la crise financière. Pendant toutes ces années, j’ai été confronté à la technique de négociation des Britanniques : ils exigent, bloquent, obtiennent satisfaction à 3 heures du matin et reviennent à la charge avec de nouvelles demandes ! J’étais donc préparé. Mais nous avons eu des moments de doute, notamment lorsque Theresa May a échoué à trois reprises à faire voter l’accord à la Chambre des communes faute d’unanimité dans son propre parti — certains députés Tories l’avaient lâchée sous l’influence de Boris Johnson — et aussi parce que le Labour n’a jamais été très clair sur la question. À ce moment-là, nous nous sommes dit qu’on n’allait pas y arriver et qu’on se dirigeait tout droit vers un « no deal ». Et nous avons craint d’avoir travaillé trois ans pour rien. Et puis Theresa May a été renversée et Boris Johnson l’a remplacée. Les dernières négociations avec lui ont été très longues et très rudes. Mais mon analyse, en tant qu’homme politique observant un autre homme politique, est qu’il avait besoin d’un accord.
I. L. — Quel est votre jugement sur Boris Johnson ? A-t-il évolué au fil des négociations ?
M. B. — À l’époque où il était maire de Londres et même ministre des Affaires étrangères, il a souvent eu une attitude baroque, disruptive, tenant des propos parfois insensés. Lorsqu’il est devenu premier ministre, j’ai découvert un homme très cordial, habile, souvent chaleureux. Certes, Georges Pompidou disait qu’en politique il ne suffit pas d’être habile. Mais Boris Johnson est, de surcroît, très pragmatique. Ayant beaucoup observé le débat interne chez les Tories, qui commandent tout depuis cinq ans, depuis le début du Brexit, mais avec des turbulences et des querelles internes incessantes, je savais qu’il fallait que ça se termine. En 2020, j’ai acquis la certitude que Boris Johnson, pour pouvoir réaliser son programme de révolution économique, avait besoin de calme du côté européen. Le gouvernement britannique a, en effet, de vraies ambitions pour le Royaume-Uni. Il ne faut pas sous-estimer Boris Johnson. J’ai écouté très attentivement ce que disait Dominic Cummings, son conseiller spécial. Leur philosophie n’est pas ultra-libérale mais nationale-populiste. Ils sont prêts, par exemple, à soutenir massivement des secteurs industriels entiers. Ils veulent faire du Royaume-Uni une sorte de hub mondial, une super start-up des technologies modernes. Ils ont voulu, pour des raisons idéologiques et presque rhétoriques, se retirer de l’Union, retrouver ce qu’ils appellent les conditions d’une « Global Britain ». Mais, pour atteindre ce …
Ce site est en accès libre. Pour lire la suite, il vous suffit de vous inscrire.
J'ai déjà un compte
M'inscrire
Celui-ci sera votre espace privilégié où vous pourrez consulter à tout moment :
- Historiques de commandes
- Liens vers les revues, articles ou entretiens achetés
- Informations personnelles