Dans ce rare entretien accordé à un média francophone, l’ancien (et probablement futur) président du Brésil, Luiz Inácio Lula da Silva, revient sur son parcours, sur la dégradation de la situation politique, économique et sociale de son pays, et développe sa vision des grands équilibres internationaux. Il évoque également la persécution judiciaire dont il a été l ’objet, ainsi que la gestion catastrophique de la pandémie par l’actuel président du Brésil, Jair Bolsonaro.
G. E.
Gaspard Estrada — En dix ans, le Brésil est passé du rêve au cauchemar. Vous incarniez l’image d’un pays optimiste, tourné vers l’avenir, sacré sixième économie du monde. Aujourd’hui, avec Jair Bolsonaro, le Brésil est devenu un paria sur la scène internationale et a reculé au douzième rang mondial. Comment expliquez-vous cette régression ?
Luiz Inácio Lula da Silva — Il existe un proverbe millénaire qui dit qu’on ne récolte que ce que l’on sème. Pour obtenir une bonne récolte, il faut une bonne plantation, une bonne irrigation et des soins réguliers. Qui sème la démocratie récolte la démocratie. Qui sème l’autoritarisme récolte l’autoritarisme. Il est évident que Bolsonaro n’était pas préparé à devenir président de la République. Tout au long de son parcours politique, y compris lorsqu’il servait au sein des forces armées brésiliennes (1), il a toujours été un provocateur, un individu qui n’accepte pas les règles du jeu, qui ne respecte pas les décisions collectives, qui n’admet pas qu’on défende un point de vue différent du sien. Il n’avait aucune des qualités requises pour occuper ce poste. Il est parvenu à se hisser au sommet de l’État à la faveur d’un concours de circonstances que tout le monde connaît : l’impossibilité de me présenter à la présidentielle de 2018, les poursuites engagées depuis 2014 contre le Parti des Travailleurs (PT) (2), l’impeachment de la présidente Dilma Rousseff. Sans oublier le rôle délétère d’une partie de la presse brésilienne qui s’est acharnée à discréditer la parole politique. Tous ces facteurs conjugués ont permis l’élection de Jair Bolsonaro à la présidence de la République.
Pour que ce pays soit de nouveau heureux, pour que le Brésil soit de nouveau un acteur à part entière sur la scène internationale et qu’il inspire de nouveau le respect, il est nécessaire de tirer les leçons de ce qui est arrivé ces dernières années. La première chose qu’un président doit acquérir, c’est une crédibilité sur le plan aussi bien national qu’international, vis-à-vis tant des gouvernements que des investisseurs. Dans le même temps, il faut faire en sorte que les politiques soient prévisibles, que les citoyens puissent avoir une idée claire de ce qui sera décidé et qu’ils ne soient pas surpris par des mesures improvisées ou des discours irresponsables. Les hommes politiques doivent être jugés sur leurs actes et sur leur respect des institutions démocratiques. Il faut que l’exécutif bâtisse des relations harmonieuses avec la Cour suprême et le pouvoir judiciaire, avec le Parlement (Chambre des députés et Sénat), sans chercher à les soumettre à sa volonté. Chacun de ces pouvoirs est autonome par rapport aux autres. Aucun ne doit donner des ordres aux autres.
G. E. — Aviez-vous mis en pratique cet idéal lorsque vous étiez au pouvoir ?
L. I. L. da S. — Oui, nous avions une relation extraordinaire avec les autres pouvoirs, avec le monde entier, avec les États-Unis, la France, l’Italie, l’Allemagne, la Suède, la Suisse, la Chine, la Russie, l’Inde, l’Angola, l’Afrique du Sud, le Mozambique, le Nigeria… La diplomatie brésilienne avait atteint …
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