Isabelle Lasserre — À vos yeux, quelles sont les conséquences géopolitiques de la crise qui a opposé la France à ses alliés australiens, américains et britanniques ?
Florence Parly — Cette crise présente un caractère assez exceptionnel par ce qu’elle révèle de la dégradation de la confiance entre alliés. Il faut se préparer à un long travail de reconstitution de ce lien de confiance avec les États-Unis. C’est indispensable pour repartir sur de bonnes bases, alors que nous restons confrontés à des défis majeurs que nous avons intérêt à traiter conjointement — terrorisme, nouvelles formes de conflictualité, Indopacifique, etc. La France entend rester engagée en Indopacifique à la fois parce qu’elle y a des intérêts et parce que c’est une zone cruciale pour la stabilité globale.
I. L. — Quelles sont les incidences de cette crise sur les relations transatlantiques en général et au sein de l’Otan en particulier ?
F. P. — J’ai été frappée au cours des derniers jours par les réactions de nombreux responsables européens, inquiets du fond de la décision américaine et choqués par la méthode employée à notre égard. Finalement, cette crise illustre ce que nous mettons en avant depuis de longs mois : l’absence de dialogue politique au sein de l’Otan ; un risque pour la cohésion interne ; et des Européens qui n’assument pas suffisamment leurs responsabilités. La révision du « Concept stratégique », qui est en cours et qui doit être achevée pour le prochain sommet de l’Alliance à l’été 2022, doit permettre de mettre toutes ces questions sur la table.
I. L. — Peut-on toujours parler d’une unité de destin entre les États-Unis et l’Europe ?
F. P. — Les Européens et les Américains ont en partage des valeurs, une histoire, des luttes communes. Aujourd’hui encore, nous nous retrouvons côté à côte pour lutter contre le terrorisme, gérer des crises ou défendre le droit international contre ceux qui cherchent à le contester ou à l’affaiblir. Cela étant, le temps où de nombreux Européens pouvaient se sentir totalement en sécurité à l’abri du parapluie américain est révolu. L’alliance avec les États-Unis est et reste essentielle mais, pour assurer leur sécurité, les Européens doivent aussi apprendre à compter sur eux-mêmes.
I. L. — Peut-on dire : Trump-Biden, sur la relation transatlantique, style différent mais même combat ?
F. P. — Je crois qu’il faut éviter de trop personnaliser le débat. Bien sûr, nous avons connu sous le mandat précédent une période difficile marquée par l’absence de dialogue et une forme d’expression brutale à l’égard des Européens. Mais j’observe que les mouvements de fond existaient auparavant et qu’ils n’ont pas disparu. De fait, nos intérêts stratégiques ne se superposent pas nécessairement en tous points. Je pense, par exemple, à la décision de Barack Obama en 2013 de ne pas intervenir en Syrie après l’attaque chimique de la Ghouta, alors que nous étions prêts à le faire. Aujourd’hui, de toute évidence, l’Europe ne constitue plus la préoccupation principale des Américains car la sécurité des États-Unis ne dépend plus aussi étroitement du « théâtre » européen que cela …
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