Les Grands de ce monde s'expriment dans

États-Unis/ONU : la fin du désamour

« America is back ». Le slogan de campagne de Joe Biden, qui lui sert de guide depuis son entrée en fonctions à la Maison-Blanche, a désormais un visage : celui de Linda Thomas-Greenfield, la nouvelle représentante des États-Unis à l’ONU. Diplomate de carrière passée par le Pakistan, la Gambie, le Kenya, le Nigeria, la Jamaïque et le Libéria, elle a également tenu les rênes — sous la présidence de Barack Obama — des Services extérieurs des États-Unis et du Département Afrique au sein du Département d’État.

Lorsque Donald Trump est devenu président, Linda Thomas-Greenfield a rejoint pour la première fois le secteur privé au poste de vice-présidente du groupe de conseil stratégique fondé par l’ancienne secrétaire d’État démocrate Madeleine Albright. Mais après sa victoire de l’an dernier, Joe Biden a décidé de rappeler cette diplomate d’expérience pour incarner le retour des États-Unis au multilatéralisme. Née en Louisiane dans une famille noire très modeste, Linda Thomas-Greenfield est un parfait exemple du modèle méritocratique américain. Sa franchise, sa prudence aussi, son regard transversal sur toutes les grandes crises du monde, son souci de préserver l’ONU d’une trop grande influence chinoise, se retrouvent dans cet entretien accordé au cœur de l’été et de la crise afghane dans les bureaux du Conseil de sécurité des Nations unies.

F. C.

François ClemenceauQue pouvez-vous nous dire de votre parcours, qui reste méconnu du grand public français ?

Linda Thomas-Greenfield — Je pense que je ne suis pas si méconnue que cela dans le monde où j’évolue depuis trente-cinq ans. D’abord, en tant que diplomate de carrière qui se consacre depuis longtemps aux affaires africaines, ce qui m’a amenée à travailler avec nombre de mes homologues français pendant près de dix ans. Mais aussi parce que je me suis beaucoup impliquée dans la résolution des crises humanitaires où la France, par tradition, joue un grand rôle.

F. C.En tant que femme et en tant qu’Américaine, pourquoi vous qualifiez-vous avant tout d’« africaine » ?

L. T.-G. — C’est assez facile à comprendre si vous regardez la couleur de ma peau. Je suis d’origine africaine, je suis une Afro-Américaine. Pendant des décennies, nous autres Afro-Américains avons tenté de répondre à cette question de l’identité, de ce qui nous définit en premier. Aujourd’hui, grâce à des recherches généalogiques basées sur mon ADN, je sais que je suis à 38 % nigériane et que mes ancêtres venaient de ce pays. Mais je suis aussi très fière d’être américaine.

F. C. Quel avantage cette identité africaine vous procure-t-elle dans le métier qui est le vôtre à présent aux Nations unies ?

L. T.-G. — Comme vous le savez, siègent ici les représentants de 54 pays du continent africain. Ils connaissent mon parcours. Je me suis rendue pour la première fois en Afrique juste après mes études supérieures et je n’ai jamais vraiment cessé d’y travailler depuis en tant que fonctionnaire au service de mon pays. C’est ce qui me donne une petite longueur d’avance par rapport à mes collègues.

F. C.Vous n’êtes pas la première Afro-Américaine à servir à ce poste (1). On se souvient d’Andrew Young ou de Susan Rice…

L. T.-G. — C’est exact, et je crois qu’ils avaient tous ce même atout sur les questions africaines, surtout dans cette enceinte où elles occupent une grande partie de notre activité.

F. C.Vous n’êtes pas non plus la première femme à être ambassadeur des États-Unis à l’ONU depuis Jeane Kirkpatrick (2), nommée par Ronald Reagan…

L. T.-G. — Je suis même la cinquième sans interruption à ce poste (3). J’ai une pensée particulière pour Madeleine Albright qui occupa cette fonction avant de devenir secrétaire d’État. On m’a tellement demandé ce que cela changeait d’être une femme de pouvoir par rapport à un homme à qui on aurait confié une mission identique ! J’ai moi-même posé la question à nombre de femmes au plus haut niveau, notamment à Ellen Johnson Sirleaf, l’ex-présidente du Libéria (4). Je me rappelle très précisément ce qu’elle m’a répondu : « Les femmes dirigent différemment des hommes, avec davantage de compassion et de capacité à écouter. » Effectivement, communiquer, ce n’est pas seulement s’adresser à l’autre ; c’est aussi l’écouter. C’est parfois perçu comme de la faiblesse, notamment par les hommes, mais je crois au contraire que c’est une force prodigieuse au service du respect que l’on doit …