Grande figure de l’indépendance écossaise, Alex Salmond, après une absence de sept ans, est revenu dans l’arène politique. Ce visionnaire, spécialiste des questions économiques et monétaires, commence sa carrière à la Banque nationale d’Écosse, après des études à la prestigieuse Université de Saint Andrews. En 1987, il entre à la Chambre des communes comme représentant de la circonscription écossaise de Banff and Buchan, puis en 1999 devient membre du Parlement écossais (1). La même année, il prend les rênes du Parti national écossais (Scottish National Party, SNP). En 2007, le SNP arrive en tête des élections parlementaires. Salmond est alors élu premier ministre par le Parlement d’Édimbourg et entame une série de réformes audacieuses, dont un virage vers les énergies renouvelables qui fait de l’Écosse l’un des pays les plus avancés d’Europe dans ce domaine.
Lorsque, en 2011, le SNP obtient la majorité absolue, Salmond négocie avec David Cameron l’organisation d’un référendum sur l’indépendance, qui a lieu le 18 septembre 2014 (2). Mais les partisans du retrait du Royaume-Uni n’obtiennent que 45 % des voix. Dépité par ce résultat, Salmond quitte le pouvoir en novembre 2014, laissant la présidence du SNP et son poste à la tête de l’exécutif écossais à sa vice-première ministre, Nicola Sturgeon. Réélu député à la Chambre des communes en mai 2015 il s’en retire en mai 2017 après sa défaite aux législatives.
Cet homme au caractère bien trempé, qui s’était insurgé dès le premier jour contre la guerre en Irak, n’a pas hésité à réclamer en 2016 à la Chambre des communes le lancement d’une procédure à l’encontre de Tony Blair, qui avait mené l’intervention de 2003 aux côtés des États-Unis. De même, il ne s’est pas privé de rappeler au prince William son devoir de neutralité à la suite de son voyage en Écosse en mai 2021 — un voyage qu’il a qualifié d’opération de propagande destinée à soutenir les partisans de l’Union. Il a surtout critiqué sa rencontre avec Gordon Brown, ancien premier ministre britannique, lui-même écossais, qui a joué un grand rôle dans la victoire du « non » au référendum de 2014.
Dans ce rare entretien accordé à Politique Internationale, il n’hésite pas, avec la même verve, à attaquer de front les Anglais, qu’il accuse de traîtrise et de mensonge.
Bien que son nouveau parti, Alba (3), n’ait pas obtenu de siège au Parlement écossais lors des élections de mai 2021, Alex Salmond continue inlassablement à œuvrer en faveur de l’indépendance. Il a réuni autour de lui les principaux ténors de la cause indépendantiste et autres déçus du SNP qui souhaitent voir leur pays quitter le Royaume-Uni au plus vite.
À n’en pas douter, il faudra s’habituer à compter avec cet homme de conviction qui est né dans la même ville que Marie Stuart et dont les jeunes années ont été marquées par les récits des héros de l’indépendance, tel William Wallace au XIIIe siècle, immortalisé par Mel Gibson dans le film Braveheart.
B. A.
Brigitte Adès — Aux dernières élections parlementaires, les partis favorables à l’indépendance ont obtenu la majorité absolue des sièges. La voie de la séparation d’avec le Royaume-Uni est-elle désormais ouverte ?
Alex Salmond — Oui, j’en suis convaincu. Lors du dernier référendum, en 2014, il ne nous avait manqué que 5 % des voix pour l’emporter. Et ce sont des manœuvres tout à fait déloyales de Londres qui, à l’époque, ont fait pencher la balance et poussé les indécis à voter contre l’indépendance.
B. A. — Comment cela s’est-il passé ?
A. S. — Dans les jours qui ont précédé le vote, nous étions passés en tête des sondages. Un vent de panique s’est emparé de Londres et les principaux dirigeants politiques — David Cameron, Nick Clegg (4) et le leader de l’opposition Ed Miliband (5) — ont alors promis aux Écossais que, si le non l’emportait, les pouvoirs du Parlement écossais seraient largement étendus. Ils ont même dit que nous aurions le Parlement le plus puissant d’Europe (6) !
Comme on pouvait s’y attendre, cette manigance de dernière minute a porté ses fruits auprès de nos électeurs, et nous avons perdu de peu (7). Or, lorsque la pression est retombée, non seulement les partis de Westminster n’ont pas tenu parole, mais ils ont mis en place un véritable système d’exclusion qui a pour résultat de priver les députés écossais du droit de vote dans toute une série de domaines.
B. A. — Plus généralement, que reprochez-vous le plus aux députés britanniques ?
A. S. — Leurs mensonges. Je suis peiné de voir à quel point certains de mes compatriotes continuent de se laisser berner par les promesses de Londres. Je pense notamment aux pêcheurs de Peterhead, que j’ai longtemps représentés à Westminster et pour lesquels j’ai beaucoup d’affection et d’admiration. Avant le Brexit, Boris Johnson et Nigel Farage (8) leur ont rendu visite et leur ont expliqué qu’en sortant de l’Union européenne et de la politique commune de la pêche ils amélioreraient leurs revenus. Beaucoup se sont laissé convaincre. Or, depuis que nous avons quitté l’UE, ils se retrouvent en dehors des marchés européens et sont dans l’impossibilité d’y vendre leurs produits. Un exemple : le marché des langoustines écossaises, que nous avions mis vingt ans à bâtir, a été sacrifié. En un mot, la communauté des pêcheurs se sent trahie. Une des figures de cette industrie, John Buchan, a récemment déclaré : « Si jamais Boris Johnson s’avise de revenir ici, il a intérêt à bien savoir nager, parce qu’il finira dans le port de Peterhead ! »
B. A. — Si le Brexit accroît le nombre des mécontents et contribue à faire pencher la balance en faveur des partisans de l’indépendance, iriez-vous jusqu’à dire qu’il aura été un mal pour un bien ?
A. S. — Absolument pas. Le Brexit cause beaucoup de tort à notre pays. J’aurais de loin préféré poursuivre la bataille pour l’indépendance au sein de l’Union européenne. À la suite du Brexit, Londres a adopté une loi sur le marché intérieur (9) qui transfère à Westminster les pouvoirs que Bruxelles …
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