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Les accords d’Abraham, une bonne nouvelle pour le Moyen-Orient

Politique InternationaleLes accords d’Abraham du 15 septembre 2020 constituent-ils ou non une étape historique pour la paix au Proche-Orient ?

Frédéric Encel — Oui et non ! Je vous répondrais positivement du point de vue des relations interétatiques entre Israël et le monde arabe puisque seules l’Égypte et la Jordanie étaient jusqu’alors signataires de traités de paix avec l’État juif, respectivement depuis 1978 et 1994. La lointaine Mauritanie l’avait également reconnu en 1999 avant de geler ses rapports diplomatiques. On passe donc assez soudainement de trois à six États sur les vingt et un membres que compte la Ligue arabe (outre l’Autorité palestinienne, autonome), et non des moindres ! Or, plus on coopère, plus on échange, plus on discute — quitte à se trouver de profonds désaccords —, moins plane le spectre des confrontations, voire de la guerre ruineuse et mortifère. Mais je vous répondrais par la négative sur le plan des rapports israélo-palestiniens ; en effet, ces accords ne s’inscrivent pas dans le cadre d’un processus de paix en cours et ne constituent ni un préalable ni un point d’orgue ou encore moins une récompense. C’est précisément ce qui exaspère l’Autorité palestinienne ainsi que ses soutiens extérieurs. Par ailleurs, on n’assiste tout de même pas à une révolution. Je rappelle que le premier Bureau d’intérêt commercial ouvert entre les Émirats arabes unis (EAU) et Israël date de 1996, et que le Maroc entretenait de bons rapports officieux avec l’État hébreu depuis au moins la rencontre d’Ifrane entre le roi Hassan II et le premier ministre israélien Shimon Pérès, en juillet 1986…

P. I.S’agit-il principalement d’une « police d’assurance » contre l’hégémonie iranienne ou d’un réel engagement de conviction ?

F. E. — J’opte pour la première de vos deux hypothèses ! D’abord, vous le savez, les convictions coïncident très intimement en géopolitique avec les intérêts bien compris ; en l’espèce, les intérêts des États signataires dépassent largement tout type de sentiment ou de choix idéologique tant ils apparaissent manifestes. Ensuite, quand on jette un œil sur les appartenances stratégiques des quatre États signataires des accords d’Abraham, on comprend immédiatement : le Maroc, Bahreïn et les Émirats arabes unis (EAU) sont très fermement ancrés dans cette coalition hétéroclite et néanmoins bien réelle composée des principaux États sunnites (Qatar et Algérie mis à part) ainsi que des États-Unis, de la France, du Royaume-Uni et, donc, d’Israël. Ce camp combat tout à la fois le djihadisme et la dimension stratégique de l’influence grandissante de l’Iran flanqué de ses alliés chiites confessionnels et/ou claniques au Liban (Hezbollah), au Yémen (Houthis) ou encore au Pakistan et en Afghanistan. Or Téhéran est perçu par les États arabes comme un péril militaire (processus de nucléarisation, balistique déjà très performante, projet de base au sortir du Golfe, etc.), institutionnel (république crypto-théocratique contre monarchies ou régimes bédouins) et économique (la troisième réserve mondiale de brut et du gaz en abondance). Quant au Soudan, autrefois proche de la République islamique perse, il a connu une révolution institutionnelle et idéologique copernicienne en 2018-2019 et s’est littéralement tourné vers cette coalition.

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