Les Grands de ce monde s'expriment dans

Les liaisons dangereuses du pouvoir turc

Une mini-tornade politique a secoué la Turquie au printemps 2021 lorsque le parrain de la mafia en exil, Sedat Peker, a entrepris de lever le voile sur les liaisons dangereuses entre les plus hauts responsables de l’État et des figures du crime organisé. Son récit a capté l’attention d’une large partie de l’opinion publique, mécontente de la piètre gestion du gouvernement islamo-conservateur, en perte de popularité dans les sondages (1).

Dans un pays où le débat politique est verrouillé et où 95 % des médias sont sous la férule du président Recep Tayyip Erdogan, ce grand déballage a aiguisé l’intérêt de dizaines de millions d’internautes. Diffusées de mai à juin, les apparitions du gangster sur YouTube étaient plus attendues que les épisodes d’une série de téléréalité. Dans les dîners en ville, aux terrasses des cafés, sur les chats, dans les couloirs des chancelleries, le « feuilleton Peker » était de toutes les conversations.

Avec un certain sens de la mise en scène, le parrain quinquagénaire, manucuré, bagué, grosse chaîne métallique autour du cou, a su tenir les internautes en haleine tout au long des neuf vidéos qu’il a postées sur le réseau social. Neuf épisodes au cours desquels il lave le linge sale de sa relation avec des responsables politiques en vue, allant jusqu’à promettre des révélations inédites sur le numéro un turc qu’il adulait jadis (2).

Son chantage, il est vrai, n’a pas duré longtemps. Les révélations promises n’ont jamais eu lieu. À peine ont-elles été évoquées que l’écran s’obscurcit. À ce moment précis, le mafieux perdit sa tribune sur YouTube. À la fin du mois de juin, il fut invité à se faire discret par la police de Dubaï, la ville où il est hébergé. Le rabibochage diplomatique en cours entre la Turquie et les Émirats arabes unis (EAU) explique peut-être ses désagréments. Le 31 août, le président Erdogan et le souverain des Émirats, le prince héritier d’Abou Dhabi Mohammed ben Zayed Al Nayhane, se sont parlé au téléphone, ce qu’ils n’avaient pas fait depuis 2017. Les deux dirigeants ont juré d’oublier leurs antagonismes régionaux — influence des Frères musulmans, guerre en Syrie et en Libye, partage des ressources énergétiques en Méditerranée —, et des investissements ont été promis. De Sedat Peker il n’a pas été question, du moins officiellement. Pourtant, peu de temps après cette conversation, le parrain a été convoqué par la police émiratie, inquiète pour sa sécurité après avoir eu vent d’un attentat en préparation contre lui. Depuis, Peker envisage de s’installer à Damas en Syrie, comme il l’a annoncé sur son compte Twitter, le seul mode d’expression qui lui reste, l’accès au réseau YouTube lui ayant été interdit.

Collusion entre l’État et la mafia

Trop tard, le mal avait déjà été fait. Au fil des vidéos, une réalité sordide s’est esquissée, révélant la collusion forgée de longue date entre la pègre, la police et certains politiciens, devenus des partenaires dans le crime. Extorsions, assassinats commandités, trafic de drogue ont été relatés avec force détails. Des noms ont été jetés en …