Deux événements ont marqué l’été stratégique : la conclusion piteuse de l’engagement américain et occidental en Afghanistan ; la cassure entre les États-Unis et la France créée par la décision américaine de céder à l’Australie des sous-marins à propulsion nucléaire. On pourrait ne voir entre ces deux affaires qu’un seul point commun : l’incompétence du conseiller national de sécurité des États-Unis, qui n’a pas su orchestrer pour son président les différentes dimensions d’une politique. Dans le premier cas, la coordination entre Département d’État, Pentagone, et CIA ; dans le second, la coordination entre les politiques européenne et asiatique des États-Unis. En fait, les deux événements ne sont pas seulement le reflet d’un État américain qui fonctionne mal ; ils sont aussi l’illustration d’un monde qui s’émiette.
Les illusions perdues
Les interventions extérieures, au cours de ces vingt dernières années, ont le plus souvent rassemblé l’Occident, à l’exception majeure de la guerre d’Irak en 2003, quand la France et l’Allemagne se sont opposées à l’intervention américaine. La première décennie du siècle a connu une expansion sans précédent des opérations de maintien de la paix de l’ONU, au point que le nombre des casques bleus a parfois presque égalé celui des troupes américaines déployées à l’extérieur. L’idée s’est un temps imposée que la consolidation des États qu’on appelle fragiles était à la fois un impératif stratégique et une obligation morale. Il était dangereux de laisser s’installer des poches de non-droit où terroristes et trafiquants de toutes sortes prospéreraient, menaçant notre sécurité. La protection du territoire national ne commençait donc pas aux frontières, et la stabilisation d’États détruits par la guerre civile était vue comme la ligne de défense avancée des pays en paix. Une sorte de doctrine s’est élaborée, qui conjuguait considérations stratégiques et vision éthique : elle incluait la réforme du secteur de la sécurité, la consolidation de l’État et de l’administration, la promotion d’élections pour refonder la légitimité de sociétés déchirées par la guerre, et l’affirmation de principes qui devaient guider les États réformés : pas d’amnistie pour les crimes contre l’humanité, justice transitionnelle… Cette apparente unité stratégique et morale du monde trouvait son expression dans la création de nouvelles institutions, comme la Cour pénale internationale, et l’émergence de nouvelles normes, comme la responsabilité de protéger, inscrite dans la déclaration finale du sommet mondial de l’ONU en 2005.
Le sommet de 2005 apparaît ainsi rétrospectivement comme le point culminant des efforts visant à bâtir une véritable « communauté internationale » après la fin de la guerre froide. Depuis, le monde n’a cessé de régresser par rapport aux ambitions qu’il avait alors prétendu se fixer. Les propositions les plus ambitieuses présentées par Kofi Annan, notamment la réforme du Conseil de sécurité, ne furent pas adoptées, et celles qui furent retenues ont déçu : le Conseil des droits de l’homme, dont la création fut actée lors de ce sommet, et qui devait former avec la paix et le développement le triptyque autour duquel Kofi Annan voulait organiser l’action de l’ONU, compte aujourd’hui parmi ses membres quelques-uns des pires ennemis des droits humains. Le …
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