Politique Internationale — Qui sont les principaux responsables du désastre afghan ? Qu’eût-il fallu faire au cours de ces deux dernières décennies pour ôter toute chance de retour des Taliban à Kaboul ?
Adam Baczko — Les premiers responsables sont les dirigeants américains, en particulier George W. Bush, son administration et son représentant à Kaboul, Zalmay Khalilzad (qu’on surnommait le vice-roi). En quelques années seulement, ils ont transformé une victoire politique et militaire en défaite. On répète beaucoup aujourd’hui que la guerre n’était pas gagnable, que l’Afghanistan serait le cimetière des empires. Peu de gens se souviennent que mollah Omar avait présenté plusieurs offres de reddition entre 2002 et 2004, avec des demandes croissantes à mesure que le mouvement reconstituait ses troupes. En 2002, l’unique exigence des Taliban était une amnistie, c’est-à-dire qu’ils voulaient pouvoir déposer les armes sans être menacés par les forces spéciales américaines et leurs supplétifs afghans. Si les États-Unis avaient accepté cette proposition, les Taliban auraient disparu en tant que mouvement politique.
Par ailleurs, la reconstruction de l’État afghan a été un désastre dès le début. Les États-Unis ont fait le choix de miser sur les seigneurs de guerre des années 1990. Ils ont ainsi mis en place un régime de potentats qui ont profité de leurs positions pour détourner l’aide occidentale, accaparer les terres et se livrer au trafic de drogue. Plus que les Taliban, c’étaient eux les principaux bénéficiaires du commerce de l’héroïne, car ils avaient la main sur les laboratoires de transformation et le transport. Dans leur traque des militants d’Al Qaïda et des Taliban, les militaires américains s’appuyaient sur ces chefs de guerre en leur offrant l’impunité, ce qui s’est traduit par de nombreuses exactions contre la population. Alors même que la promotion de la démocratie était présentée comme l’une des justifications de l’intervention, la demande d’élection des Afghans a été largement ignorée. Les pays occidentaux et les Nations unies ont même couvert les fraudes lors des scrutins parlementaires et présidentiels successifs à partir de 2005. Par la suite, les États-Unis ont multiplié les erreurs de jugement, en particulier lors du « surge » de Barack Obama en 2009 : on a augmenté le volume des troupes en les concentrant dans le Sud du pays, alors que les priorités étaient de limiter la pénétration des Taliban dans le Nord et de sécuriser les villes, qui étaient la véritable base populaire du gouvernement en place. Après avoir construit un régime corrompu, les militaires américains ont tenté de le contourner, inventant des instances coutumières de toutes pièces, et achevé ainsi de miner l’État afghan.
P. I. — Diriez-vous que, dès lors, la guerre était définitivement perdue ?
A. B. — La situation est devenue ingérable. Donald Trump a, on le sait, conduit un processus de négociations inepte qui revenait en pratique à une reddition. Le seul argument des États-Unis — le retrait de leurs troupes — était le préalable de la discussion alors qu’il aurait dû en constituer le résultat. Cela dit, le président Obama avait fait de même lorsqu’il avait …
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