Feuille de route pour une présidence européenne réussie

n° 174 - Hiver 2022

Politique Internationale — La France vient de prendre la présidence de l’Union européenne. À quels signes et à quels résultats concrets reconnaîtra-t-on que cette présidence a été efficace ?

Bruno Le Maire — Le président de la République a fixé un objectif stratégique pour la présidence française de l’Union européenne : affirmer notre souveraineté européenne. Qu’est-ce que cela veut dire ? D’abord, défendre nos intérêts géopolitiques et nos intérêts économiques. C’est aussi notre capacité à localiser de nouvelles chaînes de valeur industrielles en Europe et en France pour maîtriser les technologies qui feront la puissance du XXIe siècle : les semi-conducteurs, l’hydrogène, l’intelligence artificielle, les biotechnologies, les lanceurs renouvelables. C’est, enfin, la préservation d’un modèle économique qui parvient à conjuguer efficacité économique et lutte contre les inégalités, croissance et réduction des émissions de gaz à effet de serre. Notre présidence aura pour objectif de rassembler les États membres autour de cette ambition commune. Son succès dépendra des résultats concrets que nous parviendrons à obtenir. Nous ne devons pas nous contenter de discuter ; nous devons décider.

Dans les domaines économique et financier, la transcription en droit de l’accord sur la fiscalité internationale, la mise en place d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières et l’adoption des textes Digital Market Act et Digital Service Act sur la régulation du numérique seront des signes tangibles du succès de notre présidence.

P. I. — Au moment où un nouveau chancelier succède à Angela Merkel, quelles réflexions et quelles espérances vous inspire ce chapitre inédit des relations franco-allemandes ?

B. L. M. — Le personnage historique qu’est Angela Merkel aura marqué de son empreinte l’Allemagne, les relations franco- allemandes et l’Europe. Elle restera comme l’incarnation de l’unité allemande retrouvée. Si nous nous tournons vers le futur, le plus grand défi qui nous attend, c’est l’affirmation de la puissance européenne face à la Chine et face aux États-Unis. L’émergence accélérée de la puissance chinoise et le retrait américain ne nous laissent pas d’autre choix. Si nous voulons être un continent libre et souverain, nous devons rassembler nos forces pour devenir le troisième pôle de la puissance mondiale. De ce point de vue, je suis convaincu que nous saurons trouver avec la nouvelle coalition des terrains d’entente pour avancer dans cette direction. L’Allemagne, à travers son contrat de coalition, a déjà dit qu’elle partageait cette ambition commune.

P. I. — Craignez-vous un conflit avec Berlin sur le retour d’une politique de rigueur ?

B. L. M. — Absolument pas. Nous avons tous collectivement tiré les leçons de la crise de 2008. Une consolidation trop rapide des finances publiques et une politique de rigueur ne feraient que briser la croissance et freiner le rétablissement de nos économies. Ne confondons pas rigueur et responsabilité. La responsabilité, oui. La rigueur, non. La responsabilité, c’est de rétablir progressivement et fermement nos finances publiques en prévoyant un calendrier, une méthode et des instruments pour réduire notre dette. C’est ce que nous avons fait avec le président de la République. Cette position responsable …