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Israël : un Arabe au gouvernement

Issawi Frej aurait voulu devenir expert-comptable. Mais sur les bancs de l’Université hébraïque de Jérusalem au début des années 1980, l’enfant de Kafr Kassem né dans une famille musulmane traditionnelle a choisi d’embrasser un autre rêve, plus politique, celui d’œuvrer à une cohabitation réussie entre Juifs et Arabes.

Après une brève escale dans un parti arabe, il rejoint les rangs de Meretz, parti israélien de gauche, sioniste, laïc et socialiste, auquel il est resté fidèle jusqu’à

Élu député pour la première fois en 2003, il cherche, depuis, à multiplier les ponts entre les populations arabe et juive au sein du système éducatif israélien et à favoriser l’intégration économique de la minorité arabe. Nommé ministre de la Coopération régionale en juin 2021 dans le gouvernement dirigé par Naftali Bennett et Yaïr Lapid, il s’emploie à renouer les liens entre responsables politiques israéliens et palestiniens, et à consolider les accords d’Abraham signés avec certains pays du Golfe et du Maghreb.

Il est le second ministre musulman de l’histoire d’Israël, après Ghaleb Majadleh en 2007, à faire partie d’un gouvernement israélien.

M. D.

Myriam Danan — Vous vous êtes lancé en politique très jeune et avez choisi de rejoindre un parti sioniste — Meretz — pour y représenter les intérêts de la minorité arabe. Pourquoi ?

Issawi Frej — J’ai découvert la politique lorsque je suis entré à l’Université hébraïque de Jérusalem en 1982. J’y ai fait des études d’économie et de gestion, pour avoir un métier. Mais, dans les milieux étudiants, la fibre politique est contagieuse… J’ai d’abord découvert le parti arabe Balad ; c’était ma langue, ma culture. Puis, sur les bancs de la fac, j’ai rencontré pour la première fois de ma vie des jeunes Juifs qui suivaient les mêmes études que moi, qui pensaient comme moi. Et, dès 1985, c’est d’eux que j’ai décidé de me rapprocher. De cette partie du peuple juif qui est contre l’occupation, pour un État palestinien et qui est convaincue que nous sommes tous égaux.

Jusqu’à ce que j’aille à l’université, à Jérusalem, je n’avais eu aucun contact avec les Juifs. Là-bas, je les ai côtoyés, ils sont devenus des amis, et j’ai commencé à croire en une action commune. J’ai adhéré au parti Ratz (Mouvement pour les droits des citoyens), l’ancêtre de Meretz. Shulamit Aloni (militante pour les droits de l’homme, fondatrice de Ratz, puis dirigeante de Meretz) était une jeune femme à qui non seulement je parlais d’égal à égal mais aussi avec qui je partageais une foule d’idées. Je ne les ai pas rejoints parce que mes opinions sont différentes de celles de ma famille ou de mes voisins, mais au contraire parce que je veux la même chose que les autres Arabes israéliens : plus de justice sociale, une stricte égalité des droits entre citoyens et, sur le plan diplomatique, l’espoir qu’enfin un État palestinien voie le jour aux côtés d’Israël. Ces idées, je les ai retrouvées dans la charte de ce parti.

M. D. — Vous dites ne pas avoir eu de contact avec la population juive jusqu’à ce que vous commenciez vos études. C’est encore le cas pour une grande partie de la population arabe israélienne. Comment vos choix politiques ont-ils été perçus par vos proches ?

I. F. — J’ai démarré mon parcours politique, je vous l’ai dit, avec les partis arabes israéliens. Mais l’université m’a ouvert les yeux sur un autre monde, un autre peuple et d’autres horizons intellectuels. J’ai beaucoup appris, et pas seulement des enseignants. J’ai débattu, j’ai abandonné certaines opinions avec lesquelles j’avais grandi, je me suis attaché à d’autres, j’ai tracé mon propre chemin. Effectivement, ce n’était pas très bien vu dans mon milieu. J’étais un étudiant engagé, puis très vite un militant enflammé ; ça n’a pas fait plaisir à ceux qui voulaient me voir dans un cadre plus communautaire, plus consensuel à leurs yeux. Mais, pour moi, le consensus, c’était rendre réel le vivre-ensemble. Avec le temps, je suis plus que jamais convaincu que c’est la bonne voie. Mes amis juifs n’ont pas cherché à modeler mes idées ou à …