Alors que les chancelleries occidentales n’ont d’yeux que pour la frontière russo-ukrainienne où Vladimir Poutine masse ses troupes, un autre suspense tient les États-Unis et l’Europe en haleine à quelques milliers de kilomètres de là, en Libye. À l’issue de la guerre que se sont livrées l’Armée nationale libyenne (ANL) du maréchal Haftar (soutenue par l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite, la Russie et, plus discrètement, la France) et les forces du Gouvernement de l’accord national (GNA) de Fayez al-Sarraj épaulées par la Turquie, un accord signé sous l’égide de l’ONU a jeté les bases d’un processus politique de sortie de crise.
La Turquie s’est imposée comme l’un des protagonistes majeurs de ce processus. C’est, en effet, grâce à l’intervention décisive des drones turcs que le gouvernement de Fayez al-Sarraj — le seul reconnu par la communauté internationale — est parvenu à repousser les troupes de l’ANL montées à l’assaut de Tripoli en juin 2020. Et c’est pour préserver ses précieux acquis qu’Ankara courtise depuis le printemps 2021 le pouvoir égyptien, jusque-là fortement hostile à la présence d’un gouvernement sous influence turque à sa frontière.
Jusqu’où Recep Tayyip Erdogan est-il prêt à aller pour conserver ses positions libyennes ? Pourrait-il renoncer à son alliance avec les Frères musulmans ou, du moins, prendre ses distances vis-à-vis de leur cause ? Cela pourrait conduire les EAU et Ankara à modifier leur ligne concernant la Libye. Pour l’heure, elle reste antagonique.
Une chose est sûre : le rôle de la Turquie dans les processus de reconstruction institutionnelle et économique de la Libye aura une influence décisive sur la reconfiguration des équilibres en Méditerranée orientale.
Méditerranée Mare Nostrum
La Turquie a pris pied en Libye à la suite de la signature, le 26 novembre 2019, de deux mémorandums : le premier concerne la délimitation des frontières maritimes entre les côtes libyennes et turques ; l’autre initie une coopération militaire. Ils ont été négociés après que le gouvernement de Sarraj a demandé l’aide d’Ankara pour lutter contre les forces du maréchal Haftar.
L’accord maritime, qui prétend prolonger les eaux territoriales turques jusqu’à jouxter celles de la Libye, est une véritable aubaine pour Ankara qui se voit reconnaître un accès à des espaces jusque-là revendiqués par la Grèce et par Chypre — qui se sont naturellement empressées de contester ce tracé. Quelques mois plus tôt, l’Égypte, Israël, Chypre, la Grèce, l’Italie, la Jordanie et la Palestine avaient signé l’entente EastMed portant sur l’extraction d’hydrocarbures en Méditerranée orientale et la construction d’un gazoduc destiné à approvisionner l’Europe (1). Ce gazoduc contournera la Turquie, au grand dam d’Ankara qui rêvait de devenir un hub énergétique. Il s’agissait aussi pour ces pays riverains de la Méditerranée d’afficher leur détermination commune face aux prétentions maritimes d’Ankara et à ses pressions sur la Grèce. Des navires de prospection turcs escortés de bâtiments militaires enfreignaient régulièrement les limites des eaux territoriales grecques et chypriotes depuis plusieurs années.
Ancrage militaire
Si la Turquie possède aujourd’hui en Libye trois bases militaires, c’est grâce …
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