Le Pakistan sur une ligne de crête

n° 174 - Hiver 2022

Si le Pakistan a autant focalisé l’attention des médias au cours des deux dernières décennies, c’est d’abord parce qu’il fut le théâtre de nombreux et spectaculaires actes terroristes ou liés au terrorisme : attentat contre des employés de la Direction des constructions navales à Karachi en mai 2002 ; fin de la traque d’Oussama ben Laden à Abbottabad en mai 2011 ; massacre d’enfants dans une école militaire de Peshawar en décembre 2014 — crime imputé aux talibans pakistanais ; campagne anti-française orchestrée par une autre organisation extrémiste — le Tehrik-i-Labbaik Pakistan (TLP) — dans l’affaire des caricatures (1). Plus récemment, c’est bien sûr son rôle dans le retour des talibans à Kaboul qui l’a remis sur le devant de la scène.

Le retour des talibans en Afghanistan

Le Pakistan n’a eu de cesse, depuis un demi-siècle, de favoriser l’installation à Kaboul d’un gouvernement réceptif à ses propres intérêts stratégiques, quitte à accueillir sur son territoire une nébuleuse d’organisations djihadistes — un objectif atteint lors du premier passage au pouvoir des talibans entre 1996 et 2001 (2).

Confrontés à la menace de l’Inde, jugée existentielle, les dirigeants pakistanais ont toujours considéré qu’ils ne pouvaient tolérer la présence d’un État hostile sur leur flanc occidental. Des stratèges militaires ont même estimé que l’Afghanistan pourrait offrir une « profondeur stratégique » en cas de conflit avec l’Inde. Autant de raisons qui justifient qu’ils se soient efforcés d’imposer les talibans comme acteurs incontournables de la sortie de crise en Afghanistan.

Aussitôt après l’effondrement du pouvoir afghan à l’été 2021, le lieutenant-général Faiz Hameed, chef des services de renseignement pakistanais, l’Inter Service Intelligence (ISI), s’est rendu à Kaboul pour s’entretenir avec les chefs talibans. Le gouvernement intérimaire formé peu après cette visite fait la part belle au réseau Haqqani, bête noire des Américains en raison de ses liens avec Al-Qaïda. Son chef, Sirajuddin Haqqani, a été nommé ministre de l’Intérieur, tandis que d’autres membres du clan familial occupent des postes clés. Basés dans la région pakistanaise du Waziristan, les Haqqani ont bénéficié durant de longues années de la mansuétude d’Islamabad.

Avec l’arrivée d’un pouvoir islamiste de l’autre côté de la frontière, le risque existe de voir des organisations extrémistes locales, comme les talibans pakistanais du Tehrik-i-Taliban Pakistan (TTP), partisans de l’instauration de la charia, pousser leurs pions. Une priorité des dirigeants d’Islamabad fut, d’ailleurs, de s’assurer que les nouveaux maîtres de Kaboul ne laisseraient pas leurs homologues pakistanais opérer à partir du territoire afghan (3). En revanche, ils peuvent être rassurés sur un point : il est improbable que les talibans — dont la finalité est avant tout religieuse — se risquent à soutenir une contestation de nature ethnique, pachtoune ou baloutche, au Pakistan. Par contre, les élections locales au Khyber-Pakhtunkhwa en décembre 2021 montrent qu’un parti islamiste établi (en l’occurrence le JUI-F) peut bénéficier d’une proximité idéologique avec les talibans afghans.

L’objectif premier des Pakistanais est que le régime des talibans soit reconnu par suffisamment de pays qui comptent à l’échelle mondiale afin …