De la débâcle du Vietnam à l’éradication du régime de Saddam Hussein et de la fin de la guerre froide aux attentats du 11 Septembre, en passant par les insurrections en Amérique centrale, il est l’une des mémoires vivantes d’un demi-siècle de diplomatie américaine. John Negroponte, 82 ans, a été conseiller adjoint à la Sécurité nationale de Ronald Reagan, mais aussi ambassadeur aux Philippines, au Honduras, aux Nations unies et en Irak avant de devenir le premier directeur du Renseignement national et de seconder Condoleezza Rice au Département d’État. Né au Royaume-Uni de parents grecs, diplômé de Yale et ancien d’Harvard, il est devenu diplomate alors que le mandat de Dwight Eisenhower prenait fin. Collaborateur d’Henry Kissinger pendant les pourparlers de paix en Asie du Sud-Est, il a gravi tous les échelons jusqu’à servir Ronald Reagan et les deux présidents Bush à la Maison-Blanche. Il s’est montré très critique envers les années Trump et regarde aujourd’hui l’administration Biden tenter de restaurer la crédibilité des États-Unis sur la scène internationale avec une forme de bienveillance vigilante.
F. C.
François Clemenceau — Votre ami Colin Powell, l’ancien secrétaire d’État de George W. Bush, est mort le 18 octobre. Quel souvenir en gardez-vous ?
John Negroponte — J’ai travaillé avec Colin Powell à trois reprises (1). J’ai été son adjoint lorsqu’il était conseiller à la Sécurité nationale à la Maison-Blanche à la fin du second mandat de Ronald Reagan. Lorsque j’étais ambassadeur aux Nations unies au début du premier mandat de George W. Bush, il était mon supérieur en tant que secrétaire d’État. J’ai ensuite été nommé ambassadeur en Irak et notre relation quotidienne s’est poursuivie par téléphone durant toute cette période. Il m’appelait tous les jours, même uniquement pour prendre de mes nouvelles. C’était sa façon à lui de diriger. C’était un homme simple, direct, respectable. Il venait de la classe moyenne et avait travaillé dur pour parvenir au sommet. Il pouvait s’adapter à tous les interlocuteurs quelles que soient leurs origines sociales, du simple soldat aux officiers supérieurs et jusqu’au président. Je ne connais personne qui ait travaillé avec lui et qui ne l’ait pas aimé.
F. C. — Il avait dit que son bilan serait toujours « entaché » par sa prestation de 2003 au Conseil de sécurité de l’ONU sur les armes de destruction massive de Saddam Hussein (2). Est-ce aussi ce que vous retenez de lui ?
J. N. — Lorsqu’il a dit que son bilan serait à jamais « entaché » par l’affaire irakienne, je l’ai plutôt interprété comme la façon dont il se croyait perçu par les autres. Ce n’était pas le jugement qu’il portait sur lui-même mais ce qu’il redoutait de la part du monde extérieur, une vie résumée à une image, celle d’un homme plaidant devant le Conseil de sécurité pour l’intervention en Irak sous prétexte de démanteler les armes de destruction massive du régime. J’étais là, à un mètre derrière lui, à côté du directeur de la CIA George Tenet (3). On ne peut pas lui en vouloir. Il a fait cet exposé de bonne foi. Il a même tenté jusqu’au dernier moment de vérifier le contenu des rapports en se rendant en personne au siège de la CIA. La veille de cette séance au Conseil, nous étions à la mission américaine auprès des Nations unies à New York. Nous avons repris ces briefings dans tous les sens avec George Tenet. Lui-même a retiré des éléments du dossier dont il n’était plus sûr. L’expression « entaché » s’applique bien plus à la CIA qui a remis à Colin Powell des informations fausses. Certaines d’entre elles avaient été fournies par un informateur surnommé « Curveball » qui n’était pas fiable (4). Si l’on doit en revanche retenir quelque chose de Colin Powell, c’est la première guerre du Golfe et la libération du Koweït qu’il a su mener de façon décisive et rapide (5). C’est ce qui a donné lieu à la « doctrine Powell » dont l’un des principes est de partir en guerre seulement si l’on peut mobiliser une force …
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