Les Grands de ce monde s'expriment dans

Un nouveau concept stratégique pour de nouvelles menaces

Nommé chef d’état-major des armées en juillet 2021, en remplacement du général François Lecointre, Thierry Burkhard est d’abord un « opérationnel » qui a été déployé sur de nombreux théâtres, de l’Irak à l’ex-Yougoslavie en passant par le Tchad, le Gabon, la Côte d’ivoire et l’Afghanistan. Né le 30 juillet 1964, issu d’un milieu modeste et protestant, saint-cyrien, il est passé par le 2eREP de Calvi, le prestigieux deuxième régiment étranger de parachutistes, où il a commandé la section commandos. Il a aussi été à la tête de la 13e DBLE, la demi-brigade de Légion étrangère, basée à Djibouti. En 2017, ce fin connaisseur du terrain a été commandant du CPCO, le Centre de planification et de conduite des opérations à l’état-major des armées (EMA). Deux ans plus tard, en 2019, il a été nommé chef d’état-major de l’armée de terre. Mais il connaît aussi les coulisses du pouvoir et de la politique, qu’il a fréquentées comme porte-parole de l’EMA entre 2010 et 2013, puis à l’Élysée comme Coordinateur national du renseignement de 2013 à 2015. Respecté par ses pairs, qui lui reconnaissent une vision stratégique ambitieuse et précise, il a aussi la réputation d’être solide et direct. Les défis qu’il devra relever en 2022 et dans les années qui viennent sont nombreux. En France, comme ses prédécesseurs, il devra gérer la question sensible du recrutement et de la fidélisation. À l’étranger, il devra mettre en œuvre la diminution de la présence militaire française au Sahel, prévue en 2022. Sans pour autant baisser la garde face à la menace djihadiste…

I. L.

 

Isabelle Lasserre — Dans votre concept stratégique, vous parlez de « guerre avant la guerre ». Que signifie cette formule ?

Thierry Burkhard — Pour répondre à cette question, il convient d’évoquer le triptyque « compétition-contestation-affrontement ». Un constat : ce que l’on appelait le « continuum paix/crise/guerre » depuis la fin de la guerre froide ne permet plus d’avoir une lecture stratégique pertinente des événements et de la conflictualité dans le monde. Nous avons donc imaginé une combinaison différente qui traduit les nouveaux rapports de force et de puissance, et qui permet de mieux les analyser. D’abord, la compétition, qui est désormais le mode normal des relations entre États. Tous les États sont en compétition et sont nos compétiteurs, dans un domaine ou dans un autre... Chaque jour, les pays se testent et cherchent à s’imposer vis-à-vis des autres, dans différents domaines : économique, diplomatique, militaire, juridique, culturel. C’est cet état de compétition qui correspond à une situation de « guerre avant la guerre ». Le deuxième stade est celui de la contestation. Il intervient quand l’un des compétiteurs profite d’une opportunité pour imposer un fait accompli, en n’hésitant pas à violer le droit international ou à bafouer les règles établies. Désinhibé, il n’hésite pas à employer la force militaire pour parvenir à ses fins. La contestation, c’est « la guerre juste avant la guerre ».

I. L. — Avez-vous un exemple à citer dans l’actualité internationale ?

T. B. — L’annexion de la Crimée par la Russie en 2014 est sans doute l’exemple le plus parlant de ce qu’est un fait accompli.

I. L. — Les récentes tensions entre la Biélorussie et la Pologne au sujet des migrants entrent-elles dans cette catégorie ?

T. B. — Ici, on est à la limite entre compétition et contestation. Le dernier état, c’est l’affrontement. Celui-ci intervient lorsque l’un des compétiteurs fait monter la pression et qu’en face quelqu’un décide de poursuivre lui aussi l’escalade. On bascule alors dans la guerre proprement dite. Face à cette nouvelle conflictualité, les armées doivent être suffisamment crédibles pour imposer leur volonté à nos compétiteurs ou à nos adversaires et « gagner la guerre avant la guerre », mais aussi suffisamment entraînées pour pouvoir s’engager, y compris dans un affrontement de haute intensité. Mais miser sur la phase d’affrontement pour espérer l’emporter est un pari dangereux. Il faut tout faire pour gagner la guerre avant la guerre, c’est-à-dire montrer sa détermination à l’adversaire dans la phase de compétition. C’est là qu’il faut faire porter nos efforts.

I. L. — Les armées françaises sont-elles préparées à ces nouvelles conflictualités ?

T. B. — La France sort de vingt ans de guerre contre le terrorisme. Même si ces opérations étaient parfois très dures, les forces armées françaises ont toujours évolué dans un relatif confort opérationnel. Pendant vingt ans, on ne s’est jamais dit que le ciel ne nous appartenait pas. Il était assez facile d’obtenir un appui feu venant de la troisième dimension, ou d’extraire quand il …