Pour la première fois depuis que les autorités françaises ont accusé l’Australie de « trahison » pour avoir signé avec les États-Unis et le Royaume-Uni un pacte de défense et de partage technologique annulant de facto le contrat des douze sous-marins signé en 2016, un haut responsable du gouvernement australien a accepté de s’expliquer sur les circonstances de cette rupture politique, diplomatique et militaire. Marise Payne était la mieux placée au sein de l’équipe au pouvoir pour répondre aux questions de Politique Internationale.
Ministre de la Défense sous le gouvernement libéral précédent de Malcolm Turnbull puis cheffe de la diplomatie sous l’actuel premier ministre Scott Morrison, elle a suivi ce dossier du début jusqu’à la fin. Elle s’explique sur les raisons qui ont poussé son pays à signer les accords Aukus et trace des pistes en vue de rétablir la confiance entre les deux pays.
Cette femme de 57 ans, engagée depuis sa jeunesse estudiantine au sein du parti libéral, féministe et républicaine, sénatrice élue et réélue quatre fois, connaît tout des coulisses de la géopolitique australienne dans une zone indopacifique en pleine mutation. Elle revient ici avec force détails sur le rôle majeur de l’Australie face à la Chine, sur l’influence régionale de Canberra dans les échanges avec les pays d’Asie et du Pacifique, sur le terrorisme en Asie du Sud-Est après la prise du pouvoir par les talibans en Afghanistan, et sur la lutte contre le changement climatique — le grand défi du siècle auquel le monde se confronte avec tant de retard, en particulier dans son pays-continent, quatrième producteur mondial de charbon.
F. C.
François Clemenceau — Cela fait sept mois que le pacte Aukus (1) a été conclu entre votre pays, les États-Unis et le Royaume- Uni. Les autorités françaises ont estimé avoir été « trahies » et réclament des excuses de la part de votre gouvernement. Y êtes-vous prête ?
Marise Payne — Je comprends que la décision de l’Australie de ne pas poursuivre le programme de sous-marins diesel électriques de la classe Attack ait été un coup dur pour la France (2). Je regrette les retombées de cette décision sur notre relation bilatérale, mais elle n’était en aucun cas dirigée contre la France. Elle n’était motivée que par une chose : la réévaluation de nos besoins en matière de sécurité nationale, compte tenu des évolutions stratégiques dans la région indopacifique.
F. C. — Selon plusieurs sources diplomatiques australiennes, la France n’a pas été prise par surprise. Le gouvernement australien lui aurait envoyé des signaux pour lui faire comprendre qu’il était sur le point d’abandonner le contrat conclu avec Naval Group (3) ? Est-ce le cas et, si oui, à quels moments précis avez-vous envoyé ces signaux ?
M. P. — Quelques mois avant l’annonce, nous avons partagé nos inquiétudes avec la France au sujet de la capacité des sous-marins conventionnels. Mais il ne sert à rien de s’engager dans un débat sur qui a dit quoi et quand. L’important est de se concentrer sur un dialogue franc et une communication ouverte, afin de reconstruire notre relation et de continuer à travailler ensemble pour lutter contre la menace que représente la montée de l’autoritarisme.
F. C. — Le partenariat stratégique avec la France, noué sous la présidence de François Hollande et renforcé sous celle d’Emmanuel Macron en 2018, n’impliquait-il pas que les relations soient plus claires et plus franches entre Canberra et Paris ? En tant que ministre des Affaires étrangères et ancienne ministre de la Défense, n’étiez-vous pas la mieux placée, notamment vis-à-vis de Jean-Yves Le Drian, pour être cette messagère de confiance ?
M. P. — Encore une fois, nous reconnaissons que la nouvelle a été difficile à encaisser pour la France ; mais si nous avons pris cette décision, c’est pour des raisons purement technologiques, liées au contexte géopolitique régional. Ce changement de fournisseur ne modifie en rien notre intention de nous engager sur le plan stratégique avec la France, dans l’Indopacifique et au-delà. Je connais le ministre Le Drian depuis longtemps. Il a été mon homologue à la fois à la Défense et aux Affaires étrangères. Chacun sait qu’il est un grand défenseur de l’intérêt national français. Ensemble, dans le cadre du Partenariat stratégique renforcé de 2017 et à travers l’Initiative Australie-France (AFiniti) (4), nous avons approfondi notre coopération dans les domaines de la défense et de la sécurité, de l’environnement, des sciences et des technologies, sans oublier l’éducation. L’engagement de l’Australie envers AFiniti demeure inchangé, et nous nous réjouissons de poursuivre notre coopération avec nos partenaires français.
F. C. — Comment votre gouvernement envisage-t-il de réparer les …
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