À 79 ans, Wolfgang Schäuble est plus âgé que la République fédérale d’Allemagne. Unanimement respecté par toute la classe politique européenne, il a notamment joué un rôle primordial lors de la réunification en 1990. Victime, cette même année, d’un attentat perpétré par un déséquilibré, il se déplace depuis en fauteuil roulant, ce qui ne l’a jamais empêché d’exercer des fonctions de tout premier plan.
Durant les quatre mandats de l’ex-chancelière Angela Merkel, Wolfgang Schäuble fut ministre de l’Intérieur (2005- 2009), puis deux fois ministre fédéral des Finances (2009-2017) avant d’être élu à la tête du Bundestag (2017-2021). Deuxième personnage de l’État dans l’ordre protocolaire, il a dû céder son poste de président de la Chambre basse suite à la défaite de la CDU aux dernières élections fédérales de septembre 2021. Réélu sans interruption depuis 1972 dans sa circonscription d’Offenburg (Bade-Wurtemberg), à quelques kilomètres de Strasbourg, il siège désormais au Bundestag en tant que simple député.
Ce protestant demeure le symbole de la rigueur, de l’austérité et de l’orthodoxie en matière financière et budgétaire, ce qui l’a parfois conduit à exprimer des vues divergentes de celles d’Angela Merkel, aussi bien sur le plan national qu’européen.
Wolfgang Schäuble a reçu Politique Internationale à Berlin, dans son bureau du Bundestag où il nous a livré des « pré-mémoires » sur sa longue expérience politique : un témoignage passionnant par l’un des Grands de la scène internationale.
A. de B.
Anne de Boismilon — Monsieur le Président, vous avez accepté pour Politique Internationale de porter un jugement rétrospectif sur le rôle majeur que vous avez joué pendant des décennies dans les plus hautes sphères politiques de la République fédérale d’Allemagne. Mais comment ne pas commencer notre entretien par une question liée à l’actualité tragique que connaissent l’Europe et le monde. Quelles réflexions vous inspire cette catastrophe, celle d’une guerre menée par Vladimir Poutine aux portes de l’Europe ? Comment en sommes-nous arrivés là ?
Wolfgang Schäuble — Avant le 24 février, j’étais déjà très préoccupé par la crise ukrainienne et je pensais que l’Occident allait être obligé de trouver une réponse adéquate. Nous ne pouvions pas envisager une action militaire contre Poutine en réplique à un acte de guerre de sa part sans retomber dans les horreurs de jadis. Il fallait donc, par tous les moyens, l’empêcher de commettre l’irréparable et lui faire payer le prix fort en cas de violation de ses obligations internationales. Il fallait l’empêcher de faire cette tragique erreur — d’autant que l’Ukraine avait renoncé aux armes nucléaires stationnées sur son territoire en échange de l’inviolabilité de ses frontières. Toutes les options devaient être envisagées, mises sur la table et discutées en commun.
A. de B. — Les relations de la chancelière avec Poutine sont connues. Mais vous-même, quelles impressions gardez-vous de lui ?
W. S. — J’ai rencontré Vladimir Poutine à plusieurs reprises et j’ai été en contact fréquent avec lui pendant la crise ukrainienne de 2013-2014, en tant que ministre des Finances, avec mes collègues russe et ukrainien. Je dirais que Poutine est un homme qui a suivi une trajectoire cohérente : formé dans les rangs du KGB, il a vécu l’effondrement de l’Union soviétique comme une tragédie et puis il a fait le constat que l’expérience de la démocratie n’était pas concluante. Ces dernières années, l’Occident n’a pas joué les bonnes cartes avec lui, car nous avons baissé la garde sur tous les plans.
A. de B. — Aujourd’hui, le scénario-catastrophe est-il en train de s’écrire ?
W. S. — Oui, au-delà même de tout ce que je craignais ! Maintenant, nous devons réaliser une fois pour toutes qu’il n’y a de paix possible que si nous nous dotons d’une capacité de défense crédible. Le gouvernement allemand et la Commission européenne l’ont compris et s’engagent dans la bonne voie. Il revient désormais aux dirigeants politiques de mettre en œuvre — sur le long terme — leurs décisions prises dans l’urgence, ainsi que les changements fondamentaux en matière de défense opérés tout dernièrement, plus spécifiquement par le gouvernement d’Olaf Scholz.
L’unité et la clarté de vues qui prévalent actuellement au sein de l’UE, en phase avec nos partenaires américains, laissent espérer qu’ensemble nous pourrons conduire une action plus forte et, surtout, sur le long terme. Pour le moment, nous devons tout faire, le plus rapidement possible, pour dissuader Poutine de continuer cette guerre au mépris des lois internationales et éviter le pire.
Je salue …
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