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La Pologne en première ligne

Isabelle Lasserre — Que nous dit la guerre en Ukraine sur l’Europe et les Européens ?

Mateusz Morawiecki — Nous aimerions tous vivre dans un environnement apaisé et entretenir de bonnes relations avec les autres — y compris avec la Russie, du moins avec une Russie pacifique et démocratique. Mais la réalité, hélas, est différente, et la Russie de Vladimir Poutine nous a déjà fait prendre plusieurs douches glacées sur la tête. C’est pour cette raison que le « moment ukrainien » est si crucial dans notre histoire moderne — un moment très triste dont, j’espère, on tirera des enseignements utiles.

I. L. — Quels sont les principaux alliés de la Pologne au sein de l’Union européenne sur le sujet russe ? Quels sont les États et les dirigeants qui vous comprennent le mieux ? Et ceux qui vous comprennent le moins bien ?

M. M. — Il est naturel que les voisins de la Russie, les pays du flanc « est » de l’Otan, aient une perception plus aiguë des enjeux régionaux et du fonctionnement du pouvoir russe que des États comme la France qui sont plus éloignés et qui ont des liens traditionnels, pour ne pas dire une certaine inclination naturelle envers Moscou. Nous parlons d’une seule voix avec les États baltes, la République tchèque, la Slovaquie, la Finlande, la Roumanie. Beaucoup moins avec la Hongrie à cause des relations spéciales qu’entretiennent Budapest et Moscou et que nous regrettons. Heureusement, nous avons suffisamment d’autres sujets d’entente avec Viktor Orban pour que la relation entre la Pologne et la Hongrie ne soit pas menacée sur le fond. J’ai l’impression que les dirigeants français, allemands et hongrois continuent de penser que ne pas humilier la Russie et offrir des portes de sortie à Vladimir Poutine permettra de revenir au « business as usual ». Je pense, moi, que ce n’est pas possible et que ce n’est pas souhaitable. Il faut, au contraire, être dur avec la Russie car elle ne comprend que le langage de la force. Je vous l’ai dit, les Polonais eux aussi aimeraient à l’avenir pouvoir coopérer avec une Russie pacifique. Mais en attendant que ce jour arrive, nous devons défendre la liberté, la démocratie et la souveraineté, les grandes valeurs européennes. Sacrifier l’Ukraine à Vladimir Poutine en échange d’un petit moment de paix ne serait pas seulement immoral, ce serait également naïf ! Ceux qui espèrent mettre rapidement fin à la guerre de cette manière tiennent un raisonnement à courte vue.

I. L. — Pensez-vous que ce clivage entre les pays qui veulent la paix le plus rapidement possible et ceux qui privilégient une victoire de l’Ukraine, même si la guerre doit durer, peut provoquer une implosion de l’Europe ?

M. M. — On sait depuis longtemps que la manière la plus rapide de terminer une guerre est de la perdre. Mais nous ne pouvons pas nous permettre de perdre cette guerre. Il faut se préparer à une intensification de la propagande russe à l’Ouest dans …