Thomas Hofnung — L’invasion de l’Ukraine par la Russie constitue- t-elle, à vos yeux, une rupture comparable à la chute du mur de Berlin en 1989 et aux attentats du 11 septembre 2001 ?
François Heisbourg — Il s’agit, en effet, du troisième événement majeur de ces cinquante dernières années. Nous assistons au retour de la guerre, la vraie, au cœur des systèmes géopolitiques, en Europe et peut-être demain en Asie orientale, avec un facteur commun : le rôle de la superpuissance américaine et, plus globalement, du réseau d’alliances forgé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et au début de la guerre froide. Le risque d’une tentative de conquête de Taïwan par la Chine — nous y reviendrons — ne doit plus être perçu comme invraisemblable.
T. H. — Diriez-vous qu’on s’achemine vers un retour à la guerre froide ?
F. H. — On a toujours tendance à voir la bataille d’avant plutôt que celle qui va suivre. Cette analogie marque notre inquiétude — personne n’a envie de revivre cette période — et, en même temps, elle nous rassure car nous en connaissons désormais le mode d’emploi et la règle du jeu. Or, soyons clairs : la guerre froide n’est pas de retour. Certes, nous sommes confrontés au choc entre les États-Unis et la Chine, mais le monde n’est pas strictement bipolaire. De grands acteurs sont présents sur le plan stratégique, qui compliquent la partie : d’abord la Russie, mais aussi l’Inde, la Turquie, le Brésil, etc. Ils occupent une place sans équivalent du temps de la guerre froide. Autre différence de taille : la guerre était froide pour nous, pour les États-Unis et ses alliés, pour l’URSS et ses satellites. Mais elle ne l’était pas pour tous les autres.
T. H. — Sommes-nous entrés dans un monde nouveau ?
F. H. — Emmanuel Macron a eu raison de le dire dès le début du conflit : cette guerre va durer longtemps. Et après sa conclusion, il n’y aura pas de retour au business as usual. Nous devons nous inscrire dans un changement de logique durable. Après le temps du Mur, le temps du 11 septembre 2001, nous sommes entrés dans le temps de la guerre. Du côté russe, il y a la volonté de recréer l’empire, mais pas seulement. Rappelez-vous : à la mi-décembre 2021, Poutine a remis aux Américains, qu’il considère comme les « patrons », des projets de traités visant à instaurer un nouvel ordre de sécurité en Europe. C’était à prendre ou à laisser. Le Kremlin voulait imposer les termes de la discussion sans aucune possibilité de les remettre en cause. Que demandait-il ? Le retour en arrière toute, vers la période qui se situe avant élargissement de l’Otan et les garanties de sécurité afférentes. Autrement dit, il exigeait tout simplement l’effacement de l’ordre de sécurité bâti dans les années 1990. Autre aspect des traités mis sur la table par Moscou : plus aucun pays en Europe n’aurait eu le droit de rejoindre une alliance …
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