Cela ne fait que deux ans qu’il dirige la diplomatie de son pays mais il s’est déjà fait remarquer par la plupart de ses collègues européens et de la communauté transatlantique pour son énergie et son franc-parler. Gabrielius Landsbergis, 40 ans, marié et père de quatre enfants, est un diplomate de formation mais aussi un homme politique de premier plan. Le ton qu’il emploie pour s’exprimer déborde largement des codes du lexique diplomatique, souvent tout en nuances et en gradation de teintes. Petit-fils du libérateur du pays (1), cet élu conservateur a gravi à toute vitesse les échelons du pouvoir pour devenir l’une des voix qui comptent en Europe et pour donner plus de poids aux pays baltes et nordiques. Surtout face à la Russie de Poutine qu’il redoute comme le diable. Gabrielius Landsbergis a reçu Politique Internationale dans ses bureaux de Vilnius, une ville parée en permanence de drapeaux aux couleurs de l’Ukraine. Par solidarité, bien sûr, mais aussi pour faire comprendre aux Européens que les Lituaniens ne veulent pas subir le même sort.
F. C.
François Clemenceau — Votre nom de famille parle aux Ukrainiens, mais aussi bien au-delà de l’espace balte et européen, car votre grand-père, Vytautas Landsbergis a été le premier président de la Lituanie redevenue indépendante en 1991 après une année de négociations et de luttes. Vous souvenez- vous de cette libération ?
Gabrielius Landsbergis — Oui, j’étais un enfant de 8 ans en 1990 et ce fut essentiellement devant la télévision familiale avec mes parents que j’ai vécu cette suite d’événements. C’était un peu spécial parce que je savais que, parmi ces personnalités qui étaient à l’écran en train de discourir et de signer des documents officiels, il y avait mon grand-père. Je ne comprenais pas tout, mais mes parents m’ont expliqué ce qui se passait.
F. C. — Moins d’un an plus tard, en janvier 1991, les chars soviétiques prenaient position dans Vilnius. C’était sans doute encore plus étrange pour vous…
G. L. — Je m’en souviens très bien. D’autant plus que mon anniversaire tombe en janvier. Ce jour-là, au lieu de recevoir des cadeaux, ce fut mon grand-père qui déboula à la maison pour nous annoncer qu’il avait des informations importantes à nous communiquer et que nous allions être séparés pendant quelque temps. Plus tard, mes parents m’ont dit que nous devions aller nous réfugier dans un hôpital. Je n’étais pourtant pas malade ni blessé, mais ils m’ont dit que j’y serais en sécurité avec eux au cas où l’on viendrait nous arrêter. Les mois qui ont suivi ont été très durs. Les images des chars soviétiques en ville, pour moi comme pour toutes celles et tous ceux qui ont vécu cette époque, sont revenues à la surface lorsque nous avons vu les soldats russes envahir l’Ukraine.
F. C. — Pourquoi Mikhaïl Gorbatchev, selon vous, a-t-il réprimé les pays baltes et ne s’est-il pas attaqué aux autres pays de l’Est qui s’étaient émancipés progressivement après la chute du Mur de Berlin ?
G. L. — Parce que l’indépendance des pays baltes était vécue, côté soviétique, comme le début de l’écroulement de l’empire. Pour le Kremlin, les pays baltes appartenaient à l’Union soviétique, pas les pays de l’Est. Gorbatchev était déstabilisé, il a donc pris la décision d’envoyer des troupes chez nous, ce qui a donné lieu à un bain de sang près de la tour de la télévision de Vilnius (2). C’est ce qui vous permet de comprendre pourquoi nous n’avons pas réagi de la même manière que nos partenaires et alliés, notamment en Europe, lorsque Gorbatchev est mort.
F. C. — Pourtant, tout le monde reconnaît en Occident que ce qu’il a laissé faire à cette époque a permis à des millions de gens de retrouver la liberté…
G. L. — Oui, j’ai passé suffisamment de temps dans ma vie en tant que citoyen et homme politique européen pour savoir quelles furent les conséquences de sa politique. Mais nous espérions qu’il en irait de même pour nous, sans qu’il ait à recourir à la force, qu’il agirait comme …
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