Le coup de force de Poutine contre l’Ukraine, frappé au sceau d’un vieil impérialisme russe, marque l’entrée dans une nouvelle guerre froide. Mais c’est en fait dans la zone indopacifique et dans les espaces numériques que se joueront les phases les plus stratégiques des affrontements à venir.
Une déstabilisation générale de l’ordre du monde
L’attaque de l’Ukraine par la Russie en février 2022 a de nombreuses causes militaires, politiques, voire psychologiques ; mais Poutine ne serait peut-être pas passé à l’acte s’il n’avait senti à quel point les Américains semblaient désormais focalisés sur la zone indopacifique. Ce recalibrage était réclamé par certains experts des questions de défense à Washington (1), qui craignaient que la Chine n’ait déjà atteint une masse critique d’un point de vue militaire en Asie. Il était à l’ordre du jour d’une administration Biden qui espérait au printemps 2021, sans doute de manière trop visible, obtenir des relations « stables et prédictibles » avec la Russie (2) afin, précisément, de se concentrer sur la menace chinoise. Cette rivalité sino-américaine offre aussi la possibilité à Moscou d’approfondir sa coopération avec Pékin et d’élargir ses marges de manœuvre en Europe. Si la Russie a pu mobiliser jusqu’à 190 000 soldats en février 2022 (3), y compris des troupes venant de Sibérie (4), c’est bien parce que la menace qu’a pu représenter dans le passé la Chine à ses propres frontières n’existe plus. Mieux : au fur et à mesure de la montée des tensions sino-américaines, Moscou et Pékin ont poursuivi leur rapprochement. Celui-ci a débouché début 2022 sur un accord de fourniture de gaz russe à la Chine pour une durée de trente ans (5) ; et par une longue déclaration commune de Xi Jinping et de Vladimir Poutine soulignant leur méfiance commune à l’égard de l’Otan et du modèle de société démocratique (6). Il est même probable que la Chine ait été informée en amont des intentions du Kremlin : elle aurait demandé que l’opération ne soit déclenchée qu’après la fin des Jeux Olympiques (7).
Sans doute la Chine a-t-elle pensé à l’époque qu’un point de fixation américain en Europe lui permettrait de pousser son avantage dans sa propre zone indopacifique. Car de l’autre côté de la plaque eurasienne, une ligne de tension a pris corps. Elle dessine un arc qui part du Japon et descend jusqu’à l’Inde, touchant au passage les Philippines et l’Australie. Au nord de cet arc, en 2021, le Japon a vu passer un groupe aéronaval chinois à travers le détroit de Miyako, entre l’archipel du Senkaku et l’île d’Okinawa (8), ainsi qu’une flottille sino-russe dans le détroit de Tsugaru qui sépare le cœur de l’archipel de l’île d’Hokkaido (9). Aux Philippines, les autorités ont eu la surprise, en mars dernier, de découvrir une flottille de plus de deux cent vingt navires de pêche occupant un récif en mer de Chine revendiqué par Manille (10). En Australie, la confrontation devient tellement tendue que le gouvernement a décidé en septembre dernier de dénoncer, de manière …
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