
Après sa spectaculaire rupture avec Silvio Berlusconi en 2013, Gianfranco Fini s’est progressivement retiré de la vie politique. Il a toutefois suivi d’un œil bienveillant la percée fulgurante de Giorgia Meloni, dont il a autrefois encouragé les premiers pas au sein du pouvoir italien. Gianfranco Fini aurait pu se prévaloir de son expérience pour revendiquer un rôle dans la nouvelle équipe qui dirige le pays. C’est bien lui qui avait entrepris de débarrasser le Mouvement social italien (MSI) des oripeaux du fascisme pour donner le jour en 1995 à un parti de centre droit acceptable aux yeux de l’opinion publique, l’Alliance Nationale. Il a présidé pendant trois ans la Chambre des députés (avril 2008-mars 2011) et a occupé le poste de ministre des Affaires étrangères pendant trois autres années (2004-2006). Il fut également vice-président du Conseil de juin 2001 à mai 2006. C’est d’ailleurs à ce titre qu’il avait été invité (en avril 2004) à un petit déjeuner du club Politique Internationale au cours duquel il avait donné un aperçu de son talent oratoire.
À la veille du centième anniversaire de la marche sur Rome, le 23 octobre dernier, le directeur de La Repubblica Maurizio Molinari rappelait que Gianfranco Fini avait eu le courage de qualifier de « mal absolu » les lois raciales de 1938. Sa pupille, Giorgia Meloni, aura-t-elle maintenant le cran « d’étendre cette condamnation absolue à l’ensemble de la dictature fasciste » ?
Dans cet entretien exceptionnel, Gianfranco Fini dévoile la vraie nature de Fratelli d’Italia et juge son chef, la toute nouvelle présidente du Conseil Giorgia Meloni. Sans a priori, mais sans concessions.
R. H.
Richard Heuzé — Vous avez attendu la fin de la campagne électorale pour faire connaître votre soutien à Giorgia Meloni (1), qui est pourtant issue de vos rangs. Pourquoi avoir mis tant de temps ?
Gianfranco Fini — En réalité, c’est même après le vote que j’ai fait cette annonce. Je m’étais abstenu volontairement pour ne pas donner l’impression d’un soutien officiel de ma part. Mais j’ai fini par répondre aux sollicitations de la presse étrangère qui voulait m’interroger sur la filiation entre l’Alliance Nationale et Fratelli d’Italia. J’ai voulu expliquer qu’il n’y avait aucun risque de dérive antidémocratique ou néofasciste.
Giorgia Meloni est née à la politique avec nous. Elle a participé au congrès de Fiuggi en janvier 1995, lorsque le Mouvement social italien (MSI) a été dissous pour créer l’Alliance Nationale (2). Nous sortions de la maison du père avec la certitude de ne plus y retourner. Elle avait 18 ans et faisait partie de Azione Giovani, l’organisation de jeunesse du parti. Elle y a adhéré dès le début, contrairement à un petit noyau de dirigeants, dont certains jeunes, qui ont refusé de renier l’héritage du fascisme. Ce congrès de Fiuggi a marqué un tournant capital, la fin d’une époque. Nous avions désormais l’ambition de devenir une droite de gouvernement. Cette évolution a été renforcée par mon voyage en Israël, en mai 2003, lorsque j’ai déclaré que le fascisme était le « mal absolu » et que les lois raciales de 1938 avaient été une « infamie » (3).
R. H. — Il a fallu une dizaine d’années à Giorgia Meloni pour sortir du rang et prendre des responsabilités au sein du mouvement. Vous l’avez accompagnée tout au long, me semble-t-il…
G. F. — Oui, mais sans pour autant lui servir de mentor. Giorgia avait assez de caractère pour faire son chemin toute seule. Au fil des années, elle est montée en grade dans la hiérarchie parce qu’elle savait convaincre les jeunes de son âge. Quand il s’est agi de choisir un président pour notre mouvement de jeunesse, elle a été élue contre son rival qui était un homme. En 2006, je l’ai cooptée à un poste élevé dans le parti, me rappelant que j’étais moi-même entré en 1983 au Parlement parce que j’étais le leader des jeunes.
Lorsqu’elle a été élue, je lui ai demandé de devenir l’un des quatre vice-présidents de la Chambre des députés. Elle a aussitôt accepté alors qu’elle n’avait même pas une journée d’expérience parlementaire. Si je l’ai fait, c’est que je l’en savais capable. D’ailleurs, quelque temps après, le président de la Chambre, qui était à l’époque le communiste Fausto Bertinotti, m’a dit qu’elle remplissait son rôle de manière impeccable. Giorgia Meloni s’est imposée comme le symbole de la relève de la jeune génération.
Aux élections de 2008, elle a été réélue. Lorsqu’en mai Silvio Berlusconi a formé son cinquième gouvernement, j’ai décidé de ne pas en faire partie et de prendre la présidence de la Chambre des députés. Berlusconi voulait créer …