La Moldavie, dernier rempart de la démocratie

n° 178 - Hiver 2023

La Moldavie est l’un des rares pays au monde à être dirigé par trois femmes. L’une, Maia Sandu, est présidente. L’autre, Natalia Gavrilita, est première ministre. La troisième s’appelle Ana Revenco (1). Au poste de ministre de l’Intérieur, c’est elle qui est chargée d’organiser la résilience et la résistance de cette petite nation d’à peine trois millions d’habitants (2). Tour à tour ottomane, russe, roumaine puis soviétique, l’ex-Bessarabie est devenue indépendante après l’éclatement de l’URSS. La Russie continue néanmoins de stationner quelques milliers de soldats en Transnistrie, république autoproclamée à la frontière de l’Ukraine et non reconnue par la communauté internationale. C’est dans ce cadre qu’après des décennies de semi-vassalisation envers la Russie de Vladimir Poutine la Moldavie a fini, en août 2021, par se doter d’un gouvernement affichant clairement son intention de s’arrimer au camp européen et occidental.

Ana Revenco, 45 ans, venue de la société civile, est à la pointe de ce combat pour les valeurs.

De passage à Paris avec la présidente Maia Sandu l’automne dernier, en contact régulier désormais avec ses pairs européens, elle impressionne par son calme et sa modestie (3). Sans doute parce qu’elle sait l’ampleur de la tâche, après des années de corruption sous le règne des oligarques.

François Clemenceau — Votre pays est-il menacé par la Russie depuis le début de la guerre en Ukraine ?

Ana Revenco — Lorsque l’armée russe a commencé à se mobiliser sur les fronts est et nord de l’Ukraine l’hiver dernier, nous avons assisté de notre côté à des préparatifs d’offensive non conventionnelle, hybride, invisible. La Russie nous menace en utilisant toute la gamme des armes à sa disposition : le chantage énergétique (4) ; la déstabilisation politique en organisant et en finançant des mouvements sociaux qui s’emparent des rues de notre capitale ; des cyberattaques contre nos ministères et nos institutions ; des alertes à la bombe imaginaires contre des hôpitaux ou des aéroports, à l’image de celle qui nous a obligés à fermer toutes nos écoles fin novembre (5) ; une propagande incessante pour nous pousser à négocier avec Moscou ; le piratage des comptes de personnalités moldaves sur les réseaux sociaux afin de les discréditer. Tout cela pèse psychologiquement sur l’opinion publique.

F. C. — Comment les services russes peuvent-ils instrumentaliser les protestations sociales qui ponctuent votre vie politique ?

A. R. — Ces ingérences ont commencé bien avant le début de la guerre en Ukraine mais, depuis, elles ont connu une hausse spectaculaire. Le chantage énergétique renchérit le prix du gaz, ce qui a un impact sur le pouvoir d’achat et pousse les gens à descendre dans la rue pour protester contre le gouvernement. Le Kremlin, à travers sa propagande, envoie des messages à la population. Il tente de la convaincre que la crise actuelle n’est pas inéluctable et que, si notre gouvernement ne se soumet pas aux diktats de Moscou, il sera responsable du froid et de la faim dont nous souffrirons cet hiver (6). Nous avons pu remonter la piste financière de ces mouvements de rue. Nous avons arrêté des meneurs qui recevaient des fonds directement d’oligarques moldaves pro-russes qui ont fui le pays et dont certains se trouvent en Russie, sous le coup de sanctions internationales.

F. C. — Avez-vous une idée du montant d’argent public moldave que les oligarques ont détourné avant de fuir ?

A. R. — Pour m’en tenir aux malversations connues et documentées, je mentionnerai uniquement le détournement d’un milliard de dollars commis en 2020 par l’un des plus puissants oligarques moldaves. Cette somme, qui correspond à un huitième de notre PIB, n’a pas pu être investie dans les services publics auxquels nos citoyens ont droit ou dépensée au profit de la jeunesse. Certains proches de cet oligarque ont vu leurs comptes à l’étranger gelés par l’UE ou les États-Unis, et une partie de leurs biens immobiliers saisis. La plupart des oligarques moldaves impliqués dans des activités criminelles ont quitté le pays. C’est pourquoi nous demandons le soutien de nos partenaires et la mise en place d’une coopération policière et judiciaire afin de les traquer et de les juger (7). Lutter contre la corruption tous ensemble, c’est défendre la démocratie. La France est l’un des piliers de l’Europe de …