Le courage et la force

n° 178 - Hiver 2023

Isabelle Lasserre — Y a-t-il encore de grands hommes en Occident ?

Pierre de Villiers — C’est une question importante, car ce sont les hommes qui font l’Histoire, et l’Histoire, aujourd’hui, s’écrit sous nos yeux. Elle est également intéressante, car nos démocraties occidentales vivent une crise de l’autorité qui se manifeste de manière tangible à chaque élection dans la plupart des pays européens. Nos sociétés continuent sans doute, comme avant, à produire de « grands hommes ». Mais la question est de savoir s’ils souhaitent et peuvent accéder aux responsabilités, que ce soit dans les domaines politique, économique ou social. Je pense qu’un certain nombre d’entre eux ne veulent pas sortir de leur discrétion dans notre société de l’instantané, qui ne respecte plus la vie privée.

I. L. — On dit pourtant que les grands hommes émergent à la faveur des grandes crises. Ce fut le cas de Churchill ou de De Gaulle. Or nous vivons aujourd’hui un bouleversement mondial spectaculaire et l’on ne voit émerger aucun dirigeant de cette trempe en Europe. Est-ce aussi votre diagnostic ?

P. de V. — L’émergence des héros ou des grands hommes, vous avez raison, est une rencontre entre des personnalités et des événements. Les exemples de De Gaulle et de Churchill sont incontestables. Quant à de Lattre et Leclerc — mes modèles militaires —, ils n’auraient peut-être jamais accédé au généralat s’il n’y avait pas eu la guerre ! Si des hommes de cette trempe, comme vous dites, ne surgissent pas aujourd’hui dans l’espace public malgré les occasions qu’offrent les turbulences géopolitiques du moment, c’est précisément pour la raison que je viens de vous indiquer : ils sont tentés par d’autres destinées.

I. L. — Le courage et la force sont-ils compatibles avec le fonctionnement des démocraties ?

P. de V. — Oui, mais il y a un équilibre à trouver. L’autorité, ce n’est ni la dureté froide ni la mollesse tiède, c’est une ligne de crête entre le pouvoir du peuple incarné par une personnalité, par un régime, par un pays, et une capacité à agir face aux circonstances difficiles. Notre pays manque de confiance en lui, et c’est ce manque de confiance qui empêche l’exercice serein de l’autorité. Diffuseur de confiance, absorbeur d’inquiétude : voilà le portrait du dirigeant comme j’en ai connu tant dans ma carrière militaire. C’est cette alchimie qui génère le courant nécessaire entre les personnes pour que les responsabilités soient exercées ; c’est ce courant qui crée la subsidiarité, qui permet l’innovation, qui évite la thrombose, la concentration des décisions au sommet. La confiance est le facteur essentiel.

I. L. — Si l’on considère l’actualité internationale, peut-on dire que Volodymyr Zelensky est le type même du grand homme et du héros qui émerge en temps de guerre, une sorte d’exception à la constatation pessimiste que nous venons de faire ?

P. de V. — Vous avez raison. Les circonstances ont fait que le président Zelensky est devenu incontournable, qu’il a su résister à cette offensive, à …