La roche Tarpéienne est toujours proche du Capitole ! Angela Merkel avait hissé l’Allemagne au sommet de l’Europe. La guerre en Ukraine la fait tomber de son piédestal. Son modèle mercantiliste se retourne contre elle. L’Allemagne, mais avec elle aussi une certaine idée de l’Europe, sont les principales victimes collatérales du conflit ukrainien. Avec ce conflit, ses excédents commerciaux fondent comme neige au soleil en raison non pas tant d’une chute des exportations que d’une envolée du coût des importations, notamment énergétiques. La récession est là. La croissance devrait être négative l’an prochain : - 0,4 % prévu pour 2023 ! L’inflation (10 % prévu) — ce cauchemar dans la mémoire collective allemande — ressurgit. L’euro, hier solide comme le mark, s’enfonce face au dollar (- 10 % en quelques mois). L’influence de Berlin s’étiole, face aux pays baltes et surtout à la Pologne, Varsovie rouvrant le débat que l’on pensait clos des réparations non versées par l’Allemagne au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Quant à la relation franco-allemande, elle est au plus bas, les sujets de friction entre les deux pays se multipliant.
Comment expliquer un tel retournement de situation ? Comment la puissance dominante, l’hégémon de l’Europe, se retrouve-t-elle aujourd’hui affaiblie, contestée, sermonnée par les Ukrainiens et les Anglo-Saxons ? Pour comprendre ce revirement historique, il faut refaire un peu d’histoire. La tentation impériale allemande, sans remonter au Saint-Empire romain germanique, s’est incarnée dans la politique de Bismarck. Le deuxième Reich s’est forgé à partir des guerres victorieuses contre l’Autriche, mais surtout la France. S’appuyant sur une vision industrialiste et mercantiliste de l’économie, Bismarck développe une économie impériale de marché, basée sur l’excellence du « made in Germany ». Ce deuxième Reich est en passe de devenir la première puissance industrielle du monde. Son commerce extérieur est excédentaire. La Chine, bien que contrôlée par les Anglo-Saxons, est déjà un partenaire privilégié de l’Allemagne. Cet activisme mercantiliste, qui se double d’une montée du pangermanisme, menace la suprématie de l’Empire britannique. Tout cela débouche sur la guerre de 1914.
Le troisième Reich, celui de Hitler, sera en rupture totale avec ce qui avait fait la force et la grandeur de l’Allemagne au XIXe siècle. Le mercantilisme est oublié, mais l’industrie, repliée sur le marché intérieur, sera toujours l’une des priorités des nazis. Une industrie qui, jusqu’au dernier jour, produira les matériels de guerre. C’est elle qui, avec le soutien des Américains, permettra ensuite à l’Allemagne de se reconstruire après l945. La nouvelle Allemagne prend le contrepied de la politique de Hitler, au nom de l’ordo- libéralisme : pas d’État centralisé, mais des Länder aux pouvoirs élargis ; une monnaie forte, avec une banque centrale indépendante ; une économie tournée vers l’exportation ; une alliance, la cogestion, entre le patronat et les syndicats.
Le projet géopolitique du pays se confond avec la géostratégie de ses grands groupes industriels. Face à la menace soviétique, culpabilisée par sa période nazie, la RFA trouve dans le projet européen le moyen de revenir dans …