Le « modèle suédois » kidnappé par l’extrême droite ?
Dans la mémoire collective suédoise, la date du 11 septembre 2022 risque-t-elle d’éclipser celle de l’attentat le plus meurtrier de l’Histoire, perpétré à New York le 11 septembre 2001 ? S’il n’a fait que valider les pronostics des instituts de sondage, le résultat des élections n’en marque pas moins une césure sur le plan des mœurs politiques et du rayonnement international du pays. Le vote a vu les « Démocrates de Suède » (SD) — une formation nationaliste radicale issue de la nébuleuse xénophobe des années 1980, longtemps mise au ban du jeu démocratique — émerger comme le deuxième parti du pays, moteur idéologique de la coalition de centre droit qui a remporté la victoire.
Il se peut que le choc ait été plus brutal à l’étranger que dans le débat interne, où la percée des SD ne fait que couronner un long processus de légitimation. Il n’en reste pas moins que, pour une culture politique sensible à sa réputation à l’étranger, le scandale nourrit le sentiment d’un saut vers l’inconnu. Au lendemain du vote, l’Institut suédois — l’organisme qui depuis 1943, sous l’autorité du ministère des Affaires étrangères, veille sur les métamorphoses de l’« image de la Suède » (Sverigebild) à l’étranger — faisait état d’une flambée de commentaires alarmistes. Une inquiétude teintée de déception face au nouveau portrait d’un pays que le monde aimait penser comme « différent ». Lors de l’installation du gouvernement dirigé par Ulf Kristersson (« Les Modérés », droite libérale), à la mi- octobre, l’analogie avec l’essor de Fratelli d’Italia (en Italie) et de Vox (en Espagne) s’est imposée aux esprits. Un titre du Washington Post (« La nouvelle coalition gouvernementale suédoise repose sur un parti fondé par des néonazis ») résume la perception ambiante. L’embarras conceptuel est palpable : l’engagement humanitaire et solidariste par lequel la classe politique suédoise avait brillé dans le concert des nations, s’imposant comme une « superpuissance morale », semble relégué dans l’Histoire. De même que le mythe d’un gouvernement paisible du progrès et de la cohésion sociale — la société du « juste milieu » préfigurant, dans les turbulentes années 1930, le « modèle suédois » à venir (3).
Il ne s’agit plus de pleurer, selon un rituel médiatique qui se reproduit depuis cinquante ans, la fin d’un État-providence généreux et inclusif. Plus que l’orientation idéologique, ce sont l’identité et la vocation nationales qui sont en cause : d’après Der Spiegel, la Suède a tourné la page « une fois pour toutes » (4). De fait, l’ascension des SD marque la fin d’une exception : depuis l’avènement du suffrage universel (1921), jamais des forces d’extrême droite n’avaient fait partie d’une majorité gouvernementale en Suède. Jamais, surtout, les thèmes de l’immigration et des clivages ethnoculturels — dans un pays qui compte quelque 20 % d’habitants nés à l’étranger — n’avaient accaparé à tel point la campagne électorale.
Longtemps, le contraste avec les autres pays nordiques, beaucoup moins touchés par …