Carlos Moedas veut voir dans sa trajectoire celle d’un homme libre. Plusieurs aspects de sa biographie montrent, en tout cas, une certaine capacité à s’affranchir du cadre de son éducation. C’est, par exemple, à un père journaliste communiste et à leurs longues conversations pendant son enfance que le maire de Lisbonne dit devoir, outre le don de « poser les bonnes questions », son intérêt pour les affaires de la cité… et son engagement dans un parti situé aux antipodes du marxisme.
Né en 1970 à Beja, dans l’Alentejo, au sud du Portugal, Moedas s’est éloigné de sa terre natale pour suivre les meilleures études et se donner les moyens de ses ambitions. Après une année Erasmus à l’École nationale des Ponts et Chaussées, cet ingénieur a travaillé à Paris chez Suez, complété sa formation par un MBA à Harvard, aux États-Unis, puis intégré la banque d’investissement Goldman Sachs à la City de Londres. Marié à une professeure d’université française avec laquelle il élève trois enfants, ce Portugais des plus cosmopolites, europhile convaincu, est rentré en 2004 dans son pays pour, dit-il, « rendre aux gens » un peu de ce que la vie lui avait offert.
Le parti pour lequel il a toujours voté, le Parti social- démocrate (1), lui propose quelques années plus tard le poste le plus ingrat au moment le plus difficile : celui de responsable des affaires économiques, alors qu’en 2010-2011 son pays s’enfonce dans la crise et que le gouvernement socialiste de José Socrates (2004-2011) accepte le plan de sauvetage et la cure d’austérité imposée par la Troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne et FMI).
Son passage par le gouvernement de Pedro Passos Coelho (2011-2014) où, dans les coulisses, il dut négocier avec cette même Troïka les conditions de l’aide internationale, son expérience à Bruxelles où il fut commissaire européen à la Recherche, à l’innovation et à la science (2014-2019), et son élection surprise, il y a un an, à la mairie de Lisbonne, font de Carlos Moedas un témoin privilégié de l’histoire récente du Portugal et un analyste affûté des réalités européennes.
Mathieu de Taillac — Vous êtes le fils d’un journaliste communiste. Votre conscience politique s’est-elle construite par opposition à cette figure paternelle ?
Carlos Moedas — Mon père était communiste, mais c’était avant tout un journaliste dans l’âme. Il m’a appris à poser les bonnes questions, à préparer mes arguments. Dans ma jeunesse, on parlait beaucoup de politique à la maison, en particulier des événements du 25 avril (2) et des espoirs qu’avait fait naître cette révolution. Mon père rêvait d’un pays très différent, ce qui a fini par arriver. Il avait souffert, sous la dictature, de ce qui est peut-être le plus difficile à vivre pour un journaliste : ne pas pouvoir écrire ce que l’on veut. Il disait toujours que ne pas être libre dans sa tête est la pire des choses. J’ai été élevé dans cette ambiance. Tout petit, je me posais beaucoup de questions. Je me souviens qu’il avait couvert les Jeux olympiques de Moscou en 1980. Nous avions eu de longs échanges à ce sujet. Je lui demandais comment était Moscou, s’il y avait des magasins, si les gens étaient libres… Nous avions des conversations interminables, j’adorais la politique.
M. de T. — Vous étiez à peine adolescent !
C. M. — J’avais 10 ans. Mais oui, on avait ce genre de discussions. En même temps, je ne voulais pas décevoir mon père parce que je sentais que nous n’avions pas la même compréhension du monde. Pour moi, l’un des produits du 25 avril, c’est la liberté. J’ai toujours défendu une position politique qui repose sur le libéralisme économique, la défense des libertés individuelles et une forte protection sociale. Je crois donc être assez difficile à situer sur l’axe gauche-droite. C’est sans doute ma marque de fabrique. À laquelle j’ajouterai la proximité avec les gens, avec le peuple dont je fais partie.
M. de T. — Malgré tout, votre fidélité au grand parti du centre droit portugais est ancienne…
C. M. — Ce que j’aimais dans le PSD, c’est que c’était le parti des chefs de petites entreprises qui luttent pour avoir une vie meilleure et qui représentent une part essentielle du tissu économique du pays. A contrario, il existe une gauche qui croit que tous les problèmes peuvent être résolus par l’État. C’est ne voir qu’une moitié du monde. L’autre moitié, ce sont ces hommes et ces femmes qui se battent tous les jours pour payer des salaires, et à qui l’on doit beaucoup. Le PSD, lui, regardait le monde en face : il alliait les préoccupations sociales à la recherche d’une flexibilité économique régulée et à la défense des entreprises. Par la suite, j’ai commencé une carrière dans le privé et j’ai mis toutes ces réflexions de côté. J’ai mené ma vie professionnelle jusqu’à l’âge de 40 ans, dont plus de quinze années passées à l’étranger, entre la France, l’Angleterre et les États-Unis. Lorsque je suis rentré à Lisbonne, j’ai senti qu’il me manquait quelque chose. Je voulais être utile à mon pays et aux Portugais.
M. de T. — C’est relativement original dans le monde actuel de ne pas être un professionnel de la politique, de ne pas gravir depuis tout jeune les échelons d’un parti, de ne pas briguer patiemment les strapontins ministériels…
C. M. — C’est l’un des problèmes de la politique moderne. Les partis sont devenus des machines à créer des emplois. La plupart des hommes politiques sont des professionnels qui cherchent à progresser à la fois sur l’échelle du pouvoir et sur celle des salaires ! Or, lorsqu’on dépend totalement de la politique, on n’est pas libre. Pour ma part, j’ai toujours voulu être libre. Je crois qu’il y a très peu de responsables politiques qui, comme moi, ont perçu dans le secteur privé un salaire sans commune mesure avec ce que peut gagner un maire et qui font le choix de se présenter aux élections. J’ai accepté une mission, je veux changer ma ville, je veux faire un sacrifice pour mes concitoyens. Les gens le méritent. Quant à moi, qui suis né très pauvre et qui ai progressé, je suis redevable à la société. C’est peut-être parce que j’ai vécu aux États-Unis que je ressens ce besoin de donner quelque chose en retour.
M. de T. — Commençons par votre mandat actuel à la mairie de Lisbonne. Comment expliquez-vous votre victoire aux élections du 26 septembre 2021 ? Elle n’était pas attendue, et vous l’avez emporté de peu…
C. M. — L’écart entre le PSD et le PS n’était en effet que de 2 300 voix. Ma victoire s’explique par plusieurs facteurs. Les gens étaient fatigués de la gestion verticale de mon prédécesseur, fatigués de constater que les décisions étaient toujours imposées d’en haut. Je proposais au contraire d’écouter les citoyens et de travailler avec eux pour préparer les réformes. La dimension personnelle a également joué un rôle : sans doute avaient-ils envie de voter pour quelqu’un qui soit proche d’eux. Enfin, ils voulaient quelque chose de nouveau. Mon programme était en partie progressiste, plus à droite sur les questions économiques et, surtout, très concret. Les gens savaient que j’allais rendre les transports en commun gratuits et mettre en place un plan pour les personnes âgées qui n’ont pas les moyens de payer leurs dépenses de santé. Autant de propositions qui ont séduit l’électorat socialiste et centriste et qui, je crois, ont fait pencher la balance du bon côté.
M. de T. — Ce programme reflète d’une certaine manière vos convictions politiques et idéologiques. Comment vous définiriez-vous ?
C. M. — En France, je serais sans doute qualifié de social-libéral. Au Portugal, le mot « libéral » n’est jamais utilisé, il est quasiment persona non grata ! Je vous l’ai dit : j’ai une vision de l’économie plutôt de droite, je souhaite qu’on laisse les entreprises travailler, qu’on évite toute bureaucratie excessive… Nous essayons, par exemple, de numériser toutes les procédures en matière d’urbanisme afin d’améliorer la transparence et l’information des citoyens. Mais, du point de vue des mœurs, je suis bien plus à gauche : je me définis comme un maire féministe, d’une certaine manière comme un maire écologiste, et en tout cas comme un maire favorable à la liberté de tous. Je suis plus de centre droit que de droite, si tant est que ces définitions aient encore un sens.
M. de T. — De quel projet êtes-vous particulièrement fier ?
C. M. — La gratuité des transports en commun, qui restera certainement l’une des mesures phares de mon mandat. Pour y parvenir, il a fallu surmonter d’énormes difficultés et notamment réussir à mettre autour de la table les différentes entreprises de transport. Il s’agit avant tout d’une mesure de décarbonation. Nous avons ciblé plus particulièrement les jeunes afin de les encourager à utiliser les transports publics. Pour les plus âgés, c’est aussi une mesure sociale : on compte 140 000 personnes de plus de 65 ans à Lisbonne, dont au moins 70 000 éprouvent des difficultés financières.
Par ailleurs, la ville perçoit une partie de l’impôt sur le revenu et nous avons décidé d’en restituer 3 % aux habitants. Je travaille également sur un plan de santé destiné aux personnes âgées. Et, surtout, nous avons adopté toute une série d’initiatives en faveur de l’environnement. Par exemple, l’arrosage des quartiers nord de Lisbonne s’effectue désormais avec de l’eau non potable issue d’une station d’épuration. De même, les ampoules de l’éclairage public sont remplacées par des leds. Et les installations de panneaux solaires se multiplient… Nous avons probablement mis en place l’un des programmes d’action climatique les plus ambitieux d’Europe.
M. de T. — Vous avez évoqué le souci d’impliquer vos administrés dans les processus de décision au lieu d’imposer des décisions de manière verticale. Quels changements concrets avez-vous mis en œuvre en application de cette philosophie ?
C. M. — Nous avons lancé à Lisbonne une assemblée de citoyens— une expérience totalement nouvelle. Cinquante habitants ont été tirés au sort et ont passé le week-end avec l’équipe municipale. Les gens ne veulent pas seulement être écoutés : ils veulent participer à l’élaboration des réformes. Un de ces citoyens choisis au hasard avait des idées sur les problèmes de circulation — là encore, ce n’est qu’un exemple. Nous l’avons introduit dans le groupe de travail consacré à ce sujet, aux côtés des fonctionnaires afin qu’il puisse appréhender tous les aspects du dossier. Il est bon que les gens connaissent le fonctionnement des systèmes. Peut-être qu’au terme de ce processus cette personne parviendra à faire adopter les mesures qu’elle souhaite mettre en place et que, personnellement, je trouve très intéressantes. En tout cas, des efforts sont nécessaires pour rapprocher les citoyens des institutions et bâtir, tous ensemble, des politiques publiques. Il y a, d’un côté, le monde physique d’hier où le politique était un visionnaire qui décidait de tout, et, de l’autre, il y a le monde numérique d’aujourd’hui et de demain où les gens ont envie de prendre leur destin en main. Nous sommes quelque part entre ces deux mondes, et nous devons trouver la meilleure manière de les connecter.
M. de T. — Les difficultés ne doivent pas vous faire peur : avant de devenir maire de Lisbonne, vous avez notamment été, de 2011 à 2015, secrétaire d’État auprès du premier ministre, Pedro Passos Coelho, responsable des relations entre la Troïka et le ministère des Finances. Un poste particulièrement exposé…
C. M. — Effectivement, et j’ai pris un sacré coup de vieux ! Chaque année comptait double ! Notre position était politiquement très compliquée. On ne pouvait pas dire aux Portugais qu’on était obligés de céder aux pressions, énormes, de Bruxelles, car sinon personne ne nous aurait suivis. Il fallait donc échafauder un discours pour expliquer que l’on prenait ces mesures parce qu’on le voulait, parce que c’était important pour le pays. Dans de nombreux cas, c’était exact. Mais, dans d’autres, nous y étions contraints… Certains responsables nous incitaient à dire « non » à la Troïka, à frapper du poing sur la table… Mais on ne négocie pas avec les institutions européennes ni avec le FMI en allant au choc frontal. On peut, en revanche, infléchir certains points dans les coulisses, et c’est ce que j’ai fait. Je mériterais un diplôme supérieur dans la section « négociations avec les institutions européennes » ! Ce genre de tractations se déroule avec les fonctionnaires avant que le dossier ne remonte au niveau politique. Je dois avouer que la Troïka nous a forcés à avaler beaucoup de couleuvres…
M. de T. — Pouvez-vous donner un exemple concret de décision imposée par la Troïka que vous avez présentée comme librement consentie par votre gouvernement ?
C. M. — C’était le cas des réductions de salaires ou de pensions de retraite. Si nous nous y étions opposés, nous aurions aussitôt perdu la confiance des marchés et des créanciers. Il fallait construire un chemin de crédibilité. Et, pour cela, nous devions nous montrer convaincus. Je me suis souvent demandé si les citoyens pensaient réellement que nous prenions ces mesures de gaieté de cœur. Politiquement, c’était un exercice difficile. Heureusement que nous avions un premier ministre incroyablement sûr de ce qu’il faisait, qui ne laissait pas le doute l’habiter. Sans lui, nous aurions suivi le chemin de la Grèce.
M. de T. — Vous avez en réalité appliqué une stratégie exactement opposée à celle de la Grèce…
C. M. — J’ai vu Varoufákis (3) arriver aux réunions de l’Eurogroupe. Je ne le connais pas personnellement et je ne veux pas porter de jugement. Il débarquait en clamant : « Je ne veux pas faire ceci ou cela ! » J’avais envie de lui faire remarquer que c’était un peu tard, et qu’il aurait fallu aborder la question à la réunion du groupe de travail de l’Eurogroupe, voire à celle du sous-groupe de travail. Quand vous arrivez à l’Eurogroupe, le problème doit déjà être réglé en amont. Les ministres ne vont pas s’écharper à coups de « je ne paie pas pour la Grèce » ou « je refuse telle ou telle mesure » ! Ce n’est pas comme cela que ça marche ! Il y a des procédures à respecter. Ce genre de comportement traduit une méconnaissance totale de l’Europe.
M. de T. — Dites-nous alors comment ça marche…
C. M. — Je faisais la liaison entre la Troïka et l’ensemble des ministres, hormis celui des Finances. Lorsque les mesures concernaient le marché du travail, l’énergie, la concurrence ou les banques, c’est moi qui jouais les intermédiaires. J’étais donc un secrétaire d’État très technique. C’est dans ces réunions que l’on peut aplanir les différends, amender certains textes. Je me souviens par exemple de la loi sur la concurrence. Une fonctionnaire de la Commission voulait absolument changer une clause dans un paragraphe. Ce qu’elle voulait modifier n’avait aucun sens. Mais je savais que si je ne parvenais pas à me mettre d’accord avec elle, les négociations n’allaient pas avancer. Tout simplement parce que le commissaire européen et le directeur général qui était au-dessus d’elle ne pouvaient pas l’obliger à changer de position. C’est un exemple très symptomatique du fonctionnement de la Commission européenne. Il faut travailler en partant du bas pour aller vers le haut. Quand un illuminé déboule en éructant, c’est qu’il n’a rien compris.
M. de T. — Jusqu’où peut-on négocier avec Bruxelles ? La question du rythme des réformes à mettre en œuvre au Portugal pouvait-elle être abordée avec la Commission ?
C. M. — C’était précisément l’objet de nos négociations quotidiennes. Tous les trois mois, on essayait de ralentir le rythme. Mais ce n’était pas toujours possible. Nous devions faire face à des pressions importantes de nos partenaires européens, à commencer par l’Allemagne et la France, ainsi que du FMI. Il y avait un problème de communication. Évidemment, les gens n’aimaient pas ces mesures. Peut-être croyaient-ils qu’on avait le choix, que l’on pouvait dire « oui » ou « non ». Or ce n’était pas le cas.
M. de T. — On trouve des représentants de votre pays à la tête de nombreuses institutions, à l’ONU, à la BCE, à l’Eurogroupe, au FMI, à l’OCDE… Cette présence va bien au-delà du poids du Portugal en termes de population. Est-ce lié à un trait de caractère typiquement portugais ? À une facilité pour les langues étrangères que l’on observe chez nombre de responsables publics ?
C. M. — D’abord, il y a un effet de taille. Les habitants de très grands pays ont moins besoin de parler les langues étrangères. À l’inverse, si vous vivez dans un petit pays comme le Portugal, si vous préparez une thèse universitaire et que vous voulez qu’elle soit largement lue, vous devez la rédiger en anglais. Il y a un autre phénomène : faute d’argent, le Portugal n’a pas eu recours au doublage, et la population a pu entraîner son oreille en regardant tous les films en version originale. Il y a enfin une question d’image. Le Portugal est aujourd’hui un peu dans la même position que les pays nordiques autrefois. Les Portugais sont vus comme des gens tolérants, s’efforçant de rester neutres face aux grands défis géopolitiques. Cette perception joue en leur faveur au sein des organisations internationales.
M. de T. — Une perception qui ne s’est pas toujours vérifiée. Je pense à José Manuel Durão Barroso et à son alignement sur les positions de George W. Bush au sujet de l’Irak (4). Le moins que l’on puisse dire, c’est que sa prise de position n’a pas été ressentie comme une preuve de neutralité par la France de Jacques Chirac qui s’opposait à cette opération…
C. M. — Il y a bien sûr des exceptions. Mais, d’une manière générale, le Portugal est associé à l’idée de neutralité. Et c’est un avantage compétitif pour les professionnels de la politique internationale. Des personnalités comme António Guterres (5) ou Mário Centeno (6) en ont bénéficié. Beaucoup d’autres aussi.
M. de T. — La guerre qui préoccupe aujourd’hui le monde se déroule sur notre continent. Quel rôle peuvent jouer les Européens, trop engagés aux côtés des Ukrainiens pour être perçus comme médiateurs ?
C. M. — L’Europe doit assumer le leadership stratégique de la réponse de l’Occident à la Russie. Elle doit rendre à tous les habitants du continent stabilité et sécurité. L’Union européenne doit continuer à jouer son rôle de garant de la liberté, de la sécurité, de la justice et des droits fondamentaux. Pour atteindre ces objectifs, l’utilisation de la diplomatie est centrale. Qu’il s’agisse de sanctions économiques, qui ont été appliquées, ou du maintien du dialogue politique avec Moscou. Il n’y a pas de solution militaire à ce conflit ; il faut donc assumer qu’un accord de paix doit être construit.
D’ici là, nous devons continuer à soutenir le peuple ukrainien, qui a fait preuve d’un courage et d’une détermination inébranlables dans la défense de son pays. Nous ne pouvons pas laisser seul un peuple placé dans une situation d’extrême vulnérabilité.
M. de T. — Y a-t-il un risque que les opinions publiques, qui souffrent directement des conséquences économiques du conflit, finissent par se détourner de l’élan de solidarité initial ?
C. M. — Il ne fait aucun doute que le soutien de l’Europe a de lourds impacts à un moment où l’Europe retrouvait, même timidement, le chemin de la croissance après la pandémie. Il s’agit d’une situation très complexe et sensible, et nous comprenons que cette prolongation du conflit risque de lasser les opinions publiques. Il n’en demeure pas moins qu’il est impensable de laisser la Russie vaincre l’Ukraine. Ce sont la paix, la sécurité et la démocratie en Europe qui sont en jeu. Nous avons déjà vu qu’il est insuffisant d’exiger de Moscou le respect de l’intégrité territoriale, de la souveraineté et de l’indépendance de l’Ukraine. Nous devrons donc continuer à aider Kiev avec les moyens disponibles, en étendant les paquets de sanctions qui ont un impact croissant sur la partie russe en affaiblissant sa base économique et en réduisant sa capacité à soutenir son armée.
M. de T. — Parlons à présent plus directement de ce gouvernement dont vous étiez membre. Vous avez connu Pedro Passos Coelho avant qu’il ne soit premier ministre…
C. M. — Lorsque je suis rentré au Portugal après avoir fait carrière dans le privé à l’étranger, j’ai fait la connaissance de Pedro Passos Coelho grâce à un ami commun. Il était alors candidat aux primaires du PSD. Nous avons discuté plusieurs fois, je lui ai fait comprendre que je n’étais pas très intéressé, mais lui m’a dit que s’il remportait cette compétition interne, il comptait sur moi pour être son responsable des questions économiques. Sincèrement, je pense qu’il s’est tourné vers moi parce qu’à l’époque ses équipes n’étaient pas très étoffées. J’avais le sentiment de ne pas avoir la carrure nécessaire, d’être trop jeune. Mais il a gagné, et c’est ainsi que je suis devenu son adjoint aux affaires économiques et financières.
M. de T. — Lorsqu’il a été investi premier ministre en 2011, il vous a placé, comme nous l’avons évoqué, au cœur de décisions qui ont été saluées comme un succès pour le redressement du Portugal… mais qui, probablement, ont aussi provoqué l’éviction de votre parti du gouvernement et le retour des socialistes aux affaires en 2015. Comment expliquez-vous ce revers ?
C. M. — Rappelons d’abord que Passos Coelho a remporté les élections de 2015, mais qu’il a vu se constituer une coalition contre lui (7).
M. de T. — Ce qui était une première au Portugal…
C. M. — En effet, cela ne s’était jamais produit. Je l’ai dit, le PSD avait un problème de communication ; nous n’avons pas su expliquer les raisons de nos choix politiques. Nous étions très bons d’un point de vue technique, nous avons réussi des choses que les Grecs n’ont pas réussies, mais nous ne sommes pas parvenus à mettre ces succès en valeur.
M. de T. — Pardonnez-moi, mais le défaut de communication ou de pédagogie est un argument que l’on entend assez souvent dans la bouche des responsables politiques. Certains de vos concitoyens pourraient vous répondre que vous vous êtes parfaitement bien expliqués, que vos orientations étaient très claires, et votre exposition des motifs, transparente, mais que, malgré cela, ils désapprouvaient vos choix. Ne pensez- vous pas avoir commis une erreur de fond sur l’intensité de l’austérité et sur le rythme de la mise en place des réformes ?
C. M. — On touche là à la définition du leadership. Le leadership consiste, entre autres, à annoncer de mauvaises nouvelles de telle sorte que les gens puissent les comprendre et les digérer. Il est possible que nous nous y soyons mal pris. Quand un pays est en faillite, il est évident que les gens n’accueillent pas les mesures que vous êtes obligé de prendre avec enthousiasme.
M. de T. — Lorsque les socialistes sont arrivés au pouvoir, ils ont proclamé que l’austérité était terminée. Et Bruxelles n’a pas poussé de grands cris…
C. M. — Non. Et vous savez pourquoi ? Parce que ce que les socialistes ont annoncé était inexact. Les mesures d’austérité n’ont pas été levées, mais il se trouve que leur arrivée au pouvoir a coïncidé avec un début de reprise. Le programme électoral de Passos Coelho prévoyait lui aussi de commencer à rendre aux citoyens le fruit de leurs efforts. Bruxelles affirmait que le gouvernement socialiste était parfaitement responsable. Qu’est-ce que cela veut dire, être responsable, en langage bruxellois ? Que le gouvernement portugais continuait de faire ce que la Troïka lui disait de faire…
M. de T. — Autrement dit, les socialistes ont eu la chance d’arriver au bon moment…
C. M. — Oui, parce que les effets économiques de notre politique ont mis un peu de temps à se faire sentir. La croissance s’est amorcée dès 2013, mais c’est en 2014-2015 que les gens ont commencé à s’en rendre compte. À Bruxelles, ils n’ont pas vu de grand changement entre Passos Coelho et Costa.
M. de T. — Depuis votre départ du gouvernement, le camp de la droite portugaise a vu apparaître de nouvelles formations. Êtes-vous plus à l’aise quand vous devez discuter avec Chega — parti qualifié par les politologues de droite populiste ou d’extrême droite (8) — ou avec Iniciativa liberal, parti fondé en 2017 et résolument libéral (9) ?
C. M. — Avec Iniciativa liberal, très clairement. Malheureusement, ils manquent de sensibilité sociale. Par exemple, ils n’ont pas voté la gratuité des transports, alors que Chega l’a approuvée. Pour autant, je n’ai aucune affinité avec Chega.
M. de T. — Comment peut-on définir ce parti ? Est-ce une extrême droite populiste comparable au Rassemblement national ?
C. M. — Ces mouvements sont difficiles à cerner. Même en France, le Front national de Jean-Marie Le Pen est très différent du RN de sa fille. Je ne sais pas si l’on peut comparer Chega aux autres partis populistes car, à l’inverse de ses homologues européens, il ne s’enracine dans aucune tradition antisémite ou raciste. Le Portugal a toujours été un pays très ouvert à toutes les cultures. Chega incarne plutôt la révolte, l’idée que les politiciens sont tous des voleurs à l’exception de ses propres dirigeants qui, eux, se présentent comme des purs… Par certains aspects, il rappelle l’extrême gauche, les mélenchonistes chez vous, qui prétendent à la sainteté politique. Au fond, Chega est une formation opportuniste qui exploite le mécontentement populaire.
M. de T. — On a beaucoup reproché à Chega sa stigmatisation des populations gitanes (10)…
C. M. — Oui, et c’est très grave. Au Portugal, la communauté gitane est une petite communauté qui est intégrée, qui fait partie de notre société et n’avait jamais fait l’objet de polémiques. C’est d’autant plus inacceptable d’en avoir fait un motif de division. Mais j’observe que cette thématique est de moins en moins présente dans la rhétorique de Chega.
M. de T. — Vous avez renoncé à vous présenter aux primaires du PSD organisées en juillet dernier. Faut-il y voir une volonté de privilégier votre mandat de maire, quitte à renouer dans quelques années avec des ambitions nationales ?
C. M. — Lors de ma campagne j’ai promis aux Lisboètes que j’allais m’occuper de Lisbonne. Gérer une ville au budget de 1 milliard d’euros et qui emploie plus de 10 000 fonctionnaires, ce n’est pas un job à mi-temps ! C’est une très grande entreprise, si vous m’autorisez cette comparaison. Pour moi, il était très important de respecter les engagements que j’avais pris vis-à-vis de mes administrés ; j’ai donc immédiatement écarté une candidature. Je m’investis à Lisbonne, je veux être maire de Lisbonne à 100 %. Parmi tous les postes de responsabilité publique, avec tout le respect que j’ai pour le président de la République et le premier ministre, celui de maire est pour moi le plus intéressant qui soit. Un maire est proche des gens, il peut résoudre leurs problèmes et il est moins soumis à la pression médiatique, ce que j’apprécie.
M. de T. — Comment expliquez-vous la victoire d’Antonio Costa aux législatives de janvier dernier, bien au-delà de ce que pronostiquaient les sondages ?
C. M. — Je ne suis pas un analyste politique. Mais peut-être que ma victoire à Lisbonne a pu contribuer à mobiliser les électeurs socialistes aux élections nationales…
M. de T. — Vous seriez donc responsable de la défaite de votre camp ?
C. M. — Je ne dirais pas les choses de cette manière, mais il est possible que les électeurs socialistes aient entrevu la possibilité d’une victoire du PSD et que, par conséquent, ils soient allés voter en masse pour leur candidat. Ce résultat est effectivement très surprenant, y compris pour les vainqueurs !
M. de T. — Pourquoi surprenant ? Le bilan des socialistes était-il si mauvais ?
C. M. — Les gens étaient las. Ma victoire à Lisbonne le montre. Il y avait un ras-le-bol d’un certain type de politique, d’une politique au jour le jour sans grande vision d’avenir.
M. de T. — António Costa a maintenant les mains libres…
C. M. — Oui, et c’est peut-être un autre élément d’explication. Certains électeurs ont sans doute souhaité aider Costa à se débarrasser des communistes et des bloquistes (11) qu’il accusait de lui mettre des bâtons dans les roues… Maintenant, il n’a plus d’excuses.
M. de T. — On va donc voir émerger les vraies convictions de Costa. D’autant qu’il ne sera probablement pas candidat à un quatrième mandat et qu’il n’aura plus à subir de pression électorale…
C. M. — Je le pense. Lorsque j’étais à la Commission européenne, j’ai toujours eu une très bonne relation de travail avec Costa. C’est un centriste dans un parti que beaucoup de ses membres tirent vers la gauche, en particulier les plus jeunes.
M. de T. — Quelles qualités lui reconnaissez-vous ?
C. M. — C’est un pur politique. Il est très pragmatique et sait y faire avec les gens. Je ne sais pas s’il les écoute réellement mais, quel que soit le problème, il réussit toujours à leur donner le sentiment qu’il a une solution à proposer.
M. de T. — Quel est le principal reproche que vous adresseriez au gouvernement socialiste ?
C. M. — Son absence de vision pour le pays, notamment en matière d’innovation, de culture ou de science, en bref, de tout ce qui peut améliorer sa productivité et sa prospérité. Le Portugal souffre depuis pratiquement vingt ans de stagnation économique. Notre passage au pouvoir a permis de reprendre les choses en main. Mais sous l’influence de l’extrême gauche, le PS a dû effacer un grand nombre de réformes que nous avions mises en place, en particulier la suppression des 35 heures dans la fonction publique. Aujourd’hui, dans le privé, les gens travaillent cinq heures de plus que dans l’administration, ce qui n’est pas normal. Nous avions également permis aux entreprises de négocier des crédits d’heures avec leurs salariés en fonction de leurs besoins. La gauche est également revenue là-dessus.
M. de T. — Inversement, si le PSD retournait aux affaires dans quatre ans, y a-t-il une mesure que vous suggéreriez de mettre en place de toute urgence ?
C. M. — C’est le corollaire de la critique que j’adresse au gouvernement actuel : le Portugal doit investir beaucoup plus dans la science, l’innovation et la technologie. Il faudra aussi alléger la pression fiscale, tout spécialement en faveur de la classe moyenne qui croule sous l’impôt. Si vous dirigez une petite entreprise et que vous voulez augmenter un salarié, toute la hausse ou presque est absorbée par les charges. Une réforme fiscale d’envergure s’impose.
M. de T. — Votre parcours présente quelques similitudes avec celui d’Emmanuel Macron, ne serait-ce que parce que vous avez travaillé l’un et l’autre dans une banque d’affaires avant d’entrer en politique. Est-ce une comparaison à laquelle vous avez réfléchi ?
C. M. — Non, je n’y avais pas pensé ! Loin de moi l’idée de me comparer avec le président de l’un des plus grands pays du monde. Mais j’ai eu l’honneur de connaître Emmanuel Macron lorsqu’il était encore ministre des Finances sous François Hollande, et nous sommes restés en relation. C’est un homme qui a cette magie du contact, cette capacité à faire en sorte que l’autre se sente bien et à transmettre une énergie. Emmanuel Macron a apporté à la politique la vision de quelqu’un d’extérieur au sérail. Il a un franc-parler qui ne sombre pas dans le populisme, une façon de s’exprimer mieux connectée à la réalité que celle des politiciens professionnels. C’est un atout considérable.
Quand Emmanuel Macron s’adresse à des jeunes startupeurs, il parle leur langage. C’est quelque chose que des politiciens qui n’ont jamais travaillé dans une start-up ou dans le privé sont incapables de faire. Et c’est important. En face, vous avez des populistes qui engrangent les succès parce qu’ils proposent de détruire le système sans avoir à en assumer les conséquences. Face à leur programme, qui séduit de plus en plus de gens, il faut opposer un discours au centre qui soit franc, ouvert et anticonformiste : « Les choses doivent changer, et moi qui ai travaillé dans le privé, je sais comment faire. J’ai payé des salaires, j’ai eu à affronter des problèmes et je peux vous assurer que ce n’est pas en cassant tout qu’on y arrivera. » Il faut être plus proche des gens et, d’une certaine façon, Emmanuel Macron a su incarner cette proximité, au moins au début. Mais je comprends qu’il soit difficile de maintenir ce cap quand on dirige un grand pays comme la France.
M. de T. — Vous l’avez connu, je crois, du temps où vous étiez à Bruxelles…
C. M. — C’est exact, j’étais commissaire à la Science et lui, ministre des Finances. Il portait un vif intérêt aux questions technologiques et numériques. Nous avons lancé deux ou trois projets ensemble. Et j’ai ensuite essayé de garder le contact. Je me souviens que j’avais besoin de le voir au forum de Davos, après son élection. Je lui ai envoyé un SMS. Il m’a répondu : « Je vais faire un discours, rejoins- moi dans les coulisses. » Ce que j’avais oublié, c’est qu’il fallait pour cela montrer patte blanche à une cinquantaine d’agents de sécurité ! Mais, dans ce genre de situation, en France ou avec les délégations françaises, il existe une astuce : chercher le Portugais. Car il y a toujours un Portugais ! Et ça n’a pas manqué ! J’en ai trouvé un, très aimable. Je lui ai dit : « Je suis désespéré, le président de la République m’attend dans les coulisses et je n’arrive pas à passer. » Aussitôt, il en a parlé à sa hiérarchie, et c’est ainsi que j’ai pu le revoir.
M. de T. — Beaucoup de gens qui ont eu l’occasion de rencontrer le président Macron partagent votre constat : il donne à ses interlocuteurs le sentiment que ce qu’ils lui racontent le passionne. Quitte, ensuite, à ne pas tenir compte des observations ou des doléances qui semblaient tant l’intéresser…
C. M. — Au moins il écoute, c’est déjà ça ! Il y a tant d’hommes politiques qui en sont incapables… Cela dit, ce sont les qualités d’Emmanuel Macron qui m’intéressent ! Je le défendrai quoi qu’il arrive parce que j’estime qu’entre gens modérés qui veulent changer les choses sans mettre à bas le système nous devons nous serrer les coudes. Ce n’est pas une question de partis ou de « petite » politique. Le danger des extrêmes est trop grand.
Macron incarne d’abord le retour de la puissance de la France en Europe. Nous avons vu arriver à Bruxelles un président français qui a impressionné ses interlocuteurs en parlant anglais, et cela change tout ! Les Français n’en sont sans doute pas tout à fait conscients mais, grâce au président Macron, l’image de la France a totalement changé. Les Anglais ou les Américains ne parlent plus des Français dans les mêmes termes. Macron a su hisser la France à un autre niveau.
(1) Créé dans le sillage de la révolution des Œillets par Francisco Sá Carneiro et un groupe de professeurs de droit, le Parti social-démocrate (PSD), d’abord appelé Partido Popular Democrático (PPD), occupe une ligne de centre droit qui prend clairement ses distances avec la dictature salazariste et cherche ses électeurs sur le terrain laissé libre à la droite du Parti socialiste. Le PSD a donné au pays cinq premiers ministres : Sá Carneiro (1980), Aníbal Cavaco Silva (1985-1995), José Manuel Durão Barroso (2002-2004), Pedro Santana Lopes (2004-2005), et Pedro Passos Coelho (2011-2015). Et deux présidents de la République : Aníbal Cavaco Silva (2006-2016) et Marcelo Rebelo de Sousa (depuis 2016).
(2) La révolution des Œillets est plus souvent appelée « O 25 de Abril » par les Portugais. Ce jour de l’année 1974, un coup d’État militaire largement soutenu par la population renverse la dictature salazariste en place depuis 1933. Au terme de deux ans de transition appelée révolution, le Portugal renoue avec la démocratie, conformément aux promesses des militaires.
(3) Yánis Varoufákis, ministre des Finances du gouvernement de gauche radicale d’Alexis Tsípras en 2015 et, à ce titre, plus haut responsable des négociations du plan de sauvetage grec avec les institutions européennes et le FMI.
(4) En 2003, le premier ministre José Manuel Durão Barroso rejoint les thèses américaines justifiant la guerre en Irak et organise un sommet aux Açores pour réunir à ses côtés les grands dirigeants favorables à l’invasion : l’Américain George W. Bush, le Britannique Tony Blair et l’Espagnol José María Aznar.
(5) Premier ministre socialiste de 1995 à 2002 et secrétaire général de l’ONU depuis 2017.
(6) Ministre des Finances du gouvernement socialiste d’António Costa de 2015 à 2020 et président de l’Eurogroupe entre 2018 et 2020.
(7) Aux élections du 4 octobre 2015, la coalition PSD-CDS emmenée par le premier ministre sortant Pedro Passos Coelho reste la première force à l’Assemblée de la République, mais perd la majorité absolue. Contrairement à la tradition, le Parti socialiste d’António Costa ne facilite pas par son abstention l’investiture du candidat vainqueur des élections. Costa négocie au contraire une coalition parlementaire avec les partis à sa gauche, PCP et Bloco de Esquerda (gauche radicale), formations qui jusque-là avaient toujours refusé de soutenir les socialistes. C’est la naissance de la Geringonça (« le machin »), comme la droite baptise pour s’en moquer l’alliance des gauches portugaises.
(8) Fondé en 2019 par un ancien du PSD, le charismatique André Ventura, Chega entretient des liens avec Marine Le Pen en France, Matteo Salvini en Italie et Vox en Espagne et privilégie des thèmes tels que la lutte contre la corruption ou la réforme du système judiciaire. La formation est arrivée troisième aux législatives de janvier 2022, avec 7 % des voix et 12 députés.
(9) Iniciativa liberal propose notamment la municipalisation du salaire minimum, un taux d’imposition sur le revenu uniforme de 15 % ou encore la baisse du nombre de fonctionnaires.
(10) En 2020, dans le contexte de la crise sanitaire, André Ventura propose un confinement spécifique de la population gitane, accusée de violer les restrictions anti- Covid.
(11) Représentants du Bloco de Esquerda, parti fondé en 1999 qui regroupe la gauche radicale.