L'"ukrainium" de Vladimir Poutine

n° 178 - Hiver 2023

Isabelle Lasserre — Comment envisagez-vous la fin de l’Histoire pour la Russie ?

Michel Yakovleff — La Russie va droit dans le mur. D’abord, pour des raisons démographiques, mais également pour des raisons de déstructuration économique indépendantes de la guerre. Depuis l’arrivée de Vladimir Poutine, qui a mis fin à la diversification, la Russie est devenue une économie essentiellement extractive, concentrée sur le bois, les minerais, le pétrole et le gaz. Le système de prédation organisé par le président russe a enrichi son entourage, mais a empêché les entreprises de se développer et le pays, de se moderniser. La transition a échoué ; l’économie, dans cet État mafieux, est devenue un bonsaï. Elle est en train de s’effondrer, de la même façon que le système soviétique s’était effondré à la fin de la guerre froide. La Russie est un pays du tiers-monde en passe de devenir un pays du quart-monde. C’est le contraire de l’Arabie saoudite qui, elle, s’envole grâce à ses richesses naturelles. La même déstructuration atteint la société : il n’y a pas d’État de droit, les élites ont fui le pays, l’alcoolisme fait des ravages, la répression policière est systématique, la société est désorientée et brisée. La Russie est sur le point d’imploser.

I. L. — Quel sera le déclencheur de cette implosion ?

M. Y. — Je ne sais pas. Mais, encore une fois, la Russie va droit dans le mur. Et ce mur, depuis le déclenchement du conflit, s’est rapproché d’au moins cinq ans. Quelle que soit l’issue de la guerre contre l’Ukraine, le modèle social et économique russe est condamné. Il nous faudra, quand tout sera fini, réapprendre à gérer la Russie comme nous gérions l’URSS. L’instabilité peut aussi venir de la Bouriatie, de la Yakoutie, de toutes les provinces qui fournissent les soldats qui combattent en Ukraine. Saint-Pétersbourg et Moscou sont des villes privilégiées, elles ont été épargnées par la mobilisation. Mais, dans les régions, le ressentiment à l’égard du pouvoir est fort et les tentations sécessionnistes se développent. La Russie risque donc de devoir lutter pour son existence même.

L’avenir du régime dépendra aussi de la manière dont se terminera la guerre. Si la Russie est vaincue, c’est l’Ukraine qui dictera ses termes. On peut s’attendre à un choc en retour dans la société russe, et le régime n’y survivra pas. Mais nul ne sait ce qui sortira de ce cycle de chaos. Si, au contraire, c’est la Russie qui gagne, elle imposera sans doute une finlandisation de l’Ukraine. Cela pourra donner un répit, un peu d’oxygène au régime, mais cela ne le sauvera sans doute pas. Car les contradictions internes ne seront pas réglées pour autant. Même en cas de victoire russe, l’« ukrainium » continuera à faire son effet. Il est à Poutine ce que le polonium fut à Litvinenko ! C’est russe, ça marche à tous les coups, et l’issue est fatale. En avalant l’Ukraine, Vladimir Poutine a bu une grosse dose d’ukrainium, et un acide ronge désormais le …