Royaume-Uni : Keir Starmer premier ministre ?

n° 178 - Hiver 2023

« La complaisance est notre ennemi, et nous devons agir comme si nous étions toujours loin derrière dans les sondages », ne cesse de répéter le chef de l’opposition, sir Keir Starmer, aux membres de son cabinet ministériel fantôme (1). Le leader du parti travailliste britannique caracole, en effet, en tête des sondages depuis qu’une série de scandales a émaillé la fin du mandat de Boris Johnson. Il dispose aujourd’hui d’une bonne longueur d’avance sur les conservateurs, dont la popularité s’est en partie effondrée. Les conséquences désastreuses du « mini-budget » de Liz Truss et de son ancien chancelier de l’Échiquier Kwasi Kwarteng auront fait voler en éclats la crédibilité économique des Tories et érodé la confiance des électeurs britanniques, las du ballet incessant de ses leaders à la tête du pays. Le parti conservateur ne recueillait plus que 22 % des intentions de vote le 20 octobre 2022 (contre 53 % pour les travaillistes) alors que Liz Truss annonçait sa démission après 44 jours au pouvoir seulement et que se profilait une nouvelle élection interne pour nommer le cinquième leader conservateur en seulement six ans.

Des voix se sont rapidement élevées, notamment dans les rangs travaillistes, pour réclamer des législatives qui produiraient un gouvernement démocratiquement élu par l’ensemble des Britanniques plutôt que par les quelque 172 000 membres du parti conservateur appelés à désigner leur nouveau champion.

La prochaine échéance est prévue pour 2024, et rien dans la Constitution britannique ne permet à l’opposition seule de forcer le parti majoritaire à la tenue d’élections anticipées ; mais les divisions au sein du parti conservateur sont telles que les travaillistes ont déjà lancé leurs opérations de pré-campagne électorale. Keir Starmer se dit prêt à gouverner. C’est bien d’ailleurs la confiance et la détermination qui ont marqué la conférence nationale du Labour en octobre, où Keir Starmer a comparé les perspectives de son parti aux grandes victoires travaillistes de Clement Attlee en 1945, de Harold Wilson en 1964 et de Tony Blair en 1997 (2). Celui qui incarne l’aile modérée du parti travailliste s’est félicité d’avoir surmonté les profondes fractures internes entre centristes, dits « blairistes », et une aile gauche radicale, jadis représentée par l’ancien chef du parti, Jeremy Corbyn, et désormais marginalisée. Dans un discours empreint d’une nouvelle ferveur patriotique, Keir Starmer a dénoncé l’irresponsabilité des gouvernements   conservateurs   et   promis un retour à la stabilité économique sous un futur gouvernement travailliste qui ferait « toujours primer les intérêts du pays sur ceux de son parti » (3).

Que sait-on véritablement de Keir Starmer et de son positionnement idéologique ? Saura-t-il maintenir l’unité de son parti et colmater les brèches d’un électorat désormais divisé sur les questions du Brexit, de l’immigration et de la place du Royaume-Uni dans le monde ? S’il est vrai que Keir Starmer incarne la compétence, la stabilité et le sérieux requis pour la plus haute fonction politique — autant de qualités qui contrastent avec la désinvolture de Boris Johnson ou la démesure de Liz Truss …