Entretien avec Gianfranco Fini, homme politique italien, fondateur de l’Alliance Nationale par Richard Heuzé, correspondant de Politique Internationale en Italie
Richard Heuzé — Vous avez attendu la fin de la campagne électorale pour faire connaître votre soutien à Giorgia Meloni (1), qui est pourtant issue de vos rangs. Pourquoi avoir mis tant de temps ?
Gianfranco Fini — En réalité, c’est même après le vote que j’ai fait cette annonce. Je m’étais abstenu volontairement pour ne pas donner l’impression d’un soutien officiel de ma part. Mais j’ai fini par répondre aux sollicitations de la presse étrangère qui voulait m’interroger sur la filiation entre l’Alliance Nationale et Fratelli d’Italia. J’ai voulu expliquer qu’il n’y avait aucun risque de dérive antidémocratique ou néofasciste.
Giorgia Meloni est née à la politique avec nous. Elle a participé au congrès de Fiuggi en janvier 1995, lorsque le Mouvement social italien (MSI) a été dissous pour créer l’Alliance Nationale (2). Nous sortions de la maison du père avec la certitude de ne plus y retourner. Elle avait 18 ans et faisait partie de Azione Giovani, l’organisation de jeunesse du parti. Elle y a adhéré dès le début, contrairement à un petit noyau de dirigeants, dont certains jeunes, qui ont refusé de renier l’héritage du fascisme. Ce congrès de Fiuggi a marqué un tournant capital, la fin d’une époque. Nous avions désormais l’ambition de devenir une droite de gouvernement. Cette évolution a été renforcée par mon voyage en Israël, en mai 2003, lorsque j’ai déclaré que le fascisme était le « mal absolu » et que les lois raciales de 1938 avaient été une « infamie » (3).
R. H. — Il a fallu une dizaine d’années à Giorgia Meloni pour sortir du rang et prendre des responsabilités au sein du mouvement. Vous l’avez accompagnée tout au long, me semble-t-il…
G. F. — Oui, mais sans pour autant lui servir de mentor. Giorgia avait assez de caractère pour faire son chemin toute seule. Au fil des années, elle est montée en grade dans la hiérarchie parce qu’elle savait convaincre les jeunes de son âge. Quand il s’est agi de choisir un président pour notre mouvement de jeunesse, elle a été élue contre son rival qui était un homme. En 2006, je l’ai cooptée à un poste élevé dans le parti, me rappelant que j’étais moi-même entré en 1983 au Parlement parce que j’étais le leader des jeunes.
Lorsqu’elle a été élue, je lui ai demandé de devenir l’un des quatre vice-présidents de la Chambre des députés. Elle a aussitôt accepté alors qu’elle n’avait même pas une journée d’expérience parlementaire. Si je l’ai fait, c’est que je l’en savais capable. D’ailleurs, quelque temps après, le président de la Chambre, qui était à l’époque le communiste Fausto Bertinotti, m’a dit qu’elle remplissait son rôle de manière impeccable. Giorgia Meloni s’est imposée comme le symbole de la relève de la jeune génération.
Aux élections de 2008, elle a été réélue. Lorsqu’en mai Silvio Berlusconi a formé son cinquième gouvernement, j’ai décidé de ne pas en faire partie et de prendre la présidence de la Chambre des députés. Berlusconi voulait créer un ministère de la Jeunesse. Je lui ai alors recommandé Giorgia Meloni que je considérais comme la personne la plus adaptée pour occuper ce poste. C’est ainsi qu’elle est devenue la plus jeune ministre de la République italienne. Elle a su convaincre une audience plus vaste que les jeunes de centre droit, s’attirant même les appréciations favorables des associations juives. Elle a mis l’accent sur la nécessité de promouvoir le mérite. Ce n’est donc pas un hasard si son gouvernement actuel compte un ministère de l’Éducation et du Mérite, confié à Giuseppe Valditara. Elle a aussi mené une lutte acharnée contre toute forme de dépendance, à commencer par la drogue.
R. H. — C’est l’époque où vous commencez à prendre vos distances avec Silvio Berlusconi…
G. F. — J’avais adhéré à la formation qu’il avait créée en novembre 2007, le Peuple de la Liberté (PdL). Avec le recul, ce fut une erreur impardonnable. Il nous semblait naturel de rassembler la droite, mais nous avions créé un parti au seul service de son leader. Berlusconi est une forte personnalité. Il considère que diriger et commander sont synonymes. En politique, ce n’est pas vraiment le cas. Diriger ne suffit pas, il faut aussi convaincre.
Certains dirigeants du PdL m’ont suivi lors de ma rupture avec Berlusconi. Giorgia Meloni, elle, est restée. Mais elle est rapidement arrivée à la même conclusion que moi. En novembre 2012, dans le scepticisme général, elle quitte le PdL pour fonder « Fratelli d’Italia », emmenant avec elle le courant national- conservateur du parti (4). Moi-même, je n’y croyais pas. « Mais où vont-ils ? », me suis-je demandé. Je reconnais que je me suis trompé. Certes, Giorgia a été aidée par certains dirigeants de la vieille garde d’Alliance Nationale et par au moins un ancien élément du MSI néofasciste, l’actuel président du Sénat, Ignazio La Russa. Mais aussi par des hommes qui viennent d’autres horizons politiques, comme Guido Crosetto qui fut un dirigeant de Forza Italia mais qui avait été très proche de la Démocratie chrétienne. Il était difficile, dans ces conditions, de voir dans Fratelli d’Italia la survivance de nostalgies fascistes. Les premiers pas ont été laborieux : flops électoraux successifs, difficultés multiples. Et moins de 2 % des voix à la première élection.
R. H. — Et la voilà, dix ans plus tard, propulsée à la tête du gouvernement italien…
G. F. — La « ragazza » Meloni, comme l’appelle Silvio Berlusconi, est une femme extrêmement tenace. Elle sait que, chaque jour, elle doit passer un examen et elle s’y prépare du mieux possible. On le voit aujourd’hui. C’est un président du Conseil qui étudie les dossiers. Quand elle prend la parole, elle le fait avec un grand talent oratoire et en connaissance de cause. Elle sait de quoi elle parle. Mais, surtout, il y a chez elle une grande cohérence entre ce qu’elle dit et ce qu’elle fait.
Elle suit deux axes : ne pas rompre avec la coalition de centre droit qui a …
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