Rémy Rioux a été reconduit dans ses fonctions en septembre dernier pour un troisième mandat à la tête d’une institution qui dispose de bien plus de prérogatives et de moyens que le ministère de la Coopération, ce dinosaure de la relation franco-africaine qui a marqué le siècle précédent. À 55 ans, ce normalien doublé d’un énarque, ancien directeur de cabinet de Pierre Moscovici à Bercy, est l’un des meilleurs experts mondiaux de ce qu’on appelle désormais les enjeux globaux. Négociateur du volet financier des accords de Paris sur le climat, il consacre aujourd’hui une grande partie des fonds de la Banque publique de développement qu’il dirige au financement de la transition énergétique. Avec la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine, les combats et les agendas du « Sud global » sont devenus des enjeux brûlants pour les prochaines années. Rémy Rioux décrit ici par le menu les urgences d’une planète désorientée.
F. C.
François Clemenceau — Quelle est votre définition de ce qu’on appelle aujourd’hui le « Sud global », et en quoi cette notion influence-t-elle votre métier ?
Rémy Rioux — Est-ce un nouveau « tiers-monde » (1), notion récusée par son inventeur même, Alfred Sauvy, en 1952 ? Un revival du mouvement des « non-alignés » (2) ? Les Américains parlent aussi parfois de « reste du monde », alors qu’il s’agit désormais de la majorité du monde. La guerre en Ukraine semble réactiver des lignes géopolitiques anciennes, avec un nouveau clivage Est-Ouest et le spectre d’une nouvelle guerre froide. Il est vrai que différents pays, majoritairement situés dans l’hémisphère Sud, n’ont pas voulu prendre parti pour dénoncer l’agression de la Russie, et s’aligner sur l’Occident et sur ses institutions où ils cherchent encore leur place. À eux tous, les pays qui se sont abstenus représentent la moitié de la population mondiale. Mais il faut, je crois, se méfier comme de la peste de ces généralités, qui masquent la nouveauté du monde, et les combattre. Car les réalités sont en vérité variables d’un continent à l’autre : la majorité des pays d’Amérique latine, le Brésil de Lula en tête, ont voté avec les Occidentaux et contre la Russie la résolution onusienne du premier anniversaire de la guerre en Ukraine, ainsi que la moitié de l’Afrique et certains pays d’Asie, comme le Cambodge où j’étais en déplacement en février dernier (3). En fait, la formule « Sud Global » essentialise et durcit des lignes politiques qui ne me semblent pas indépassables ou totalement installées. Et, surtout, elle n’a plus grand sens — si elle n’en a jamais eu — quand on parle d’économie et d’environnement, puisque vous évoquez mon métier de financeur du développement durable. Nous ne pouvons nous y résoudre.
F. C. — Est-ce que cette notion de Sud global se rattache à une autre tendance qualifiée de « désoccidentalisation du monde » ?
R. R. — Un rééquilibrage du monde assurément, qui a commencé lorsque le poids démographique et économique de ces pays a été clairement perçu, notamment la dynamique des grands émergents et surtout des BRICS, dont je rappelle qu’ils doivent leur acronyme à un analyste de Goldman Sachs, Jim O’Neill, qui avait travaillé en 2001 sur leurs croissances cumulées (4). Ce rééquilibrage s’est poursuivi avec la revendication politique destinée à obtenir plus de responsabilités dans les institutions internationales, singulièrement de la part de la Chine, comme on l’a vu à Montréal en décembre 2022 avec le succès diplomatique inattendu de la COP15 sur la biodiversité, sous présidence chinoise. Ce rééquilibrage s’approfondit encore dans une ré-exploration des fondements de notre vie commune, normes, valeurs, cultures et identités. Il faut y répondre, malgré le conflit majeur qui nous oppose à la Russie, pour éviter davantage de fragmentation.
F. C. — L’Occident, qui soutient l’Ukraine aujourd’hui contre la Russie, a souvent été accusé de néocolonialisme. Emmanuel Macron a-t-il raison de dire que le comportement de la Russie, mais aussi de la …
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