Le soixantième anniversaire du traité de l’Élysée, le 22 janvier 2023, fut l’occasion de célébrer à la Sorbonne la cohésion retrouvée de la « locomotive franco-allemande » — après l’annulation du conseil des ministres prévu à Fontainebleau en octobre 2022 — ainsi que son rôle dans la construction européenne. Mais le faste du rituel a souligné plutôt qu’il n’a masqué le vide du contenu politique ; les trésors d’éloquence dans l’évocation du passé sont allés de pair avec le silence obligé sur les actions présentes. Et pour cause !
Sous la mise en scène des retrouvailles, l’heure n’est plus à la réconciliation mais à la séparation entre Berlin et Paris. Or cette divergence intervient au pire moment pour l’Union européenne. La guerre d’Ukraine la plonge en effet dans une crise économique avec la récession ; énergétique avec l’explosion des prix du gaz et de l’électricité ; stratégique avec son incapacité à faire face à la menace russe ; intellectuelle et morale avec la faillite de la foi naïve dans les vertus du commerce, dans la corruption des oligarques et la complaisance envers les autocrates pour assurer la paix.
Un mariage de raison…
En réalité, les rapports entre la France et l’Allemagne n’ont jamais été ni naturels, ni immédiats, ni automatiques. Les intérêts nationaux des deux pays sont le plus souvent désalignés ; les institutions mais aussi la culture et les valeurs sont radicalement différentes. À la notion sentimentale de « couple » qui domine à Paris répond ainsi le concept fonctionnel d’« axe » ou de « moteur » en vigueur à Berlin. Aux envolées lyriques et aux discours abstraits s’oppose la défense acharnée des intérêts économiques, en vertu du principe que ce qui est bon pour l’Allemagne est bon pour l’Europe. Dès lors, la relation franco-allemande n’existe que par la volonté politique. Il est bien vrai que les avancées de la construction européenne ont été effectuées sur la base d’initiatives franco- allemandes, mais celles-ci ne se sont dessinées qu’après de vives tensions.
Le traité de l’Élysée fut d’emblée vidé de son sens par le préambule qu’y a ajouté le Bundestag, qui conduisit le général de Gaulle à souligner, le 2 juillet 1963, que « les traités sont comme les jeunes filles et les roses : ça dure ce que ça dure ! ». L’apogée lié à la complicité entre Valéry Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt reposait sur la priorité accordée aux points de convergence. François Mitterrand et Helmut Kohl ne se mirent à collaborer qu’après le tournant de la rigueur en 1983, ce qui n’empêcha pas de fortes tensions lors de la chute du mur de Berlin, la diplomatie française tentant vainement de freiner la réunification de l’Allemagne et de l’Europe avant de chercher à arrimer Berlin à l’Union à travers le traité de Maastricht. Jacques Chirac et Gerhard Schröder s’opposèrent violemment sur le financement de l’Union puis le calamiteux traité de Nice avant de se retrouver autour de leur opposition à la guerre d’Irak. Nicolas Sarkozy et Angela …
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