Isabelle Lasserre — Dans cette guerre en Ukraine, quelles sont, selon vous, les différentes portes de sortie ?
Ingrida Simonyte — Je ne vois qu’un seul scénario possible, dans le sens où il est le seul à s’attaquer aux causes de la guerre : l’Ukraine doit repousser l’armée russe, s’assurer que les coupables soient traduits en justice et rejoindre les alliances de son choix. Certains considèrent que ce scénario n’est pas réaliste, notamment parce qu’il n’y aura jamais, comme avec l’Allemagne en 1945, de réelle capitulation de la Russie. Mais je pense que tout dépend de nous, tout dépend du soutien qu’apporteront les pays occidentaux à l’Ukraine, même si, dans de nombreux domaines, il a malheureusement été un peu trop tardif. Je suis sûre d’une chose : s’il n’y a qu’une demi-paix en Ukraine, il n’y aura pas de paix en Europe, car la Russie reviendra. Il ne faut pas trop se réjouir des pertes considérables en hommes et en matériels subies par les troupes russes. Cela ne suffira pas à ramener la paix. S’il n’y a pas de travail de réconciliation nationale, s’il n’y a pas de changement dans la perception qu’a la Russie de ses voisins et de son histoire, les prochains dirigeants russes se transformeront à leur tour en de nouveaux Poutine. Pourquoi ? Parce que la seule chose qu’ils seront capables de transmettre au peuple russe sera le même ressentiment que celui qui est à l’origine de cette guerre.
Les pays d’Europe occidentale ont longtemps pensé que Vladimir Poutine n’avait pas intérêt à déclencher les hostilités, lui qui contrôlait déjà toutes les ressources du pays, tous les États appartenant à la Fédération, lui qui n’était menacé par aucune opposition puisqu’il avait jeté les dissidents en prison ou les avait forcés à l’exil. Pourquoi un dirigeant se trouvant dans une situation aussi confortable déclencherait-il une guerre dans son voisinage, alors qu’il peut vivre largement des profits générés par les ventes de gaz et de matières premières aux pays démocratiques ? Si l’on aborde l’histoire de ce point de vue, il est vrai qu’une invasion de l’Ukraine paraissait complètement irrationnelle. Mais les dirigeants russes ont une rationalité différente, fondée sur le ressentiment. Ils sont persuadés que quelqu’un a volé sa grandeur à la Russie et l’a propulsée dans la pauvreté. Ce ressentiment est à l’origine de l’invasion du 24 février 2022, mais aussi de l’annexion de la Crimée en 2014 et de la guerre de Géorgie en 2008. Vladimir Poutine pense qu’il peut restaurer cette puissance perdue, quitte à sacrifier le bien- être de la population. C’est la raison pour laquelle, tant qu’il n’y aura pas de réelle défaite de l’armée russe, il n’y aura pas de vraie paix en Europe.
I. L. — Comment voyez-vous l’après-guerre en Russie ? De nombreux dirigeants occidentaux craignent qu’une éventuelle éviction de Vladimir Poutine n’entraîne le chaos et la désintégration du pays. Que leur répondez-vous ?
I. S. — Ceux qui disent cela sont les mêmes que ceux qui pensaient qu’il …
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