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Trois scénarios pour une sortie de guerre

La situation est inédite. Après la Seconde Guerre mondiale, aucun pays au monde, à part la Russie, n’a essayé d’envahir un autre pays souverain en se préparant à y mener des purges ethniques et à y éradiquer ce qu’on peut appeler le sentiment d’appartenance nationale, quitte à exterminer des élites indociles. Mais ce projet n’a pu aboutir car Vladimir Poutine est tombé dans le piège qu’il croyait tendre. Le mépris des Ukrainiens, le refus de considérer leur patriotisme comme authentique et fort, le mirage d’une unité profonde entre toutes les populations russophones éparpillées dans le monde, l’impréparation de l’armée russe pourtant réformée récemment (2009-2015), la corruption à tous les échelons du pouvoir, l’unité de l’Occident, son aide militaire à l’Ukraine et les sanctions qu’il inflige au Kremlin : tous ces facteurs ont joué contre Vladimir Poutine.

Quels sont les scénarios possibles ?

Il en existe deux parmi les plus vraisemblables, bien que totalement dissemblables. Premier scénario : la victoire totale de l’Ukraine, à savoir le retrait des troupes russes jusqu’aux frontières de 1991. Dans cette hypothèse, l’Ukraine récupère aussi la Crimée. C’est Vladimir Poutine lui-même qui a rendu un tel dénouement possible. Pendant plusieurs années, en effet, il a fait la différence entre la Crimée « annexée » en 2014, devenue désormais province russe, et les « républiques populaires » du Donbass qui, elles, pouvaient, selon les accords de Minsk, revenir sous contrôle ukrainien à condition qu’elles obtiennent une autonomie totale et un droit de veto à la Rada pour les décisions concernant l’Ukraine tout entière. Cette possibilité purement théorique et irréalisable a d’ailleurs disparu le 21 février 2022, à trois jours du début de l’invasion russe, lorsque Poutine, dans un discours solennel et effroyable, a reconnu l’indépendance de ces « républiques ».

La décision du président russe d’« annexer », le 30 septembre 2022, les quatre régions ukrainiennes de Donetsk et de Louhansk, de Zaporijjia et de Kherson n’en était pas moins inattendue car, au moment du vote du Parlement russe, ces régions n’étaient que partiellement occupées par l’armée de l’envahisseur. En tout cas, cette « annexion » fantomatique a joué un mauvais tour à Poutine en désacralisant celle de la Crimée, en lui ôtant son caractère spécifique de terre prétendument « russe depuis toujours » et en rendant, de ce fait, une éventuelle réoccupation de la péninsule par l’armée ukrainienne acceptable aux yeux de l’opinion publique internationale.

Si les pays occidentaux fournissent suffisamment d’armements sophistiqués à l’Ukraine, y compris des avions et des systèmes de défense antiaérienne performants, l’Ukraine peut gagner la guerre dans le courant de l’année 2023 ou un peu plus tard. Pour la population russe, la perte de la Crimée, mais aussi de tous les autres gains territoriaux russes en Ukraine, sonnera le glas du régime poutinien. Dans ce cas, le premier cercle du pouvoir, composé de siloviki, d’oligarques et de financiers, s’empressera d’attribuer toute la responsabilité de l’échec au seul chef afin de mieux s’en exonérer. Le sort de Poutine sera peu enviable : …