Le choc de l’invasion russe de l’Ukraine, en février 2022, a fait vaciller certaines des certitudes stratégiques qui semblaient les mieux établies. Il faudra encore des années pour que toutes les leçons de l’absence de préparation occidentale à un tel coup de force soient intégralement tirées. Mais il est d’ores et déjà temps de souligner qu’une des faiblesses de la posture des États-Unis et de leurs alliés au sein de l’Otan résidait dans l’incapacité à comprendre la profonde intimité, du point de vue du Kremlin, entre les théâtres européen et moyen-oriental. Or c’est bien au Moyen-Orient, et plus précisément en Syrie, que Vladimir Poutine a méthodiquement consolidé son statut de puissance globale, devenant ainsi le premier bénéficiaire du désengagement américain de cette région jugée jusque-là prioritaire à Washington.
Lorsque Barack Obama refuse de livrer aux révolutionnaires syriens, en 2011-2012, les armements indispensables pour renverser le régime Assad, il offre à celui-ci un monopole inestimable en matière d’aviation, d’artillerie et de blindés. Il permet surtout à son homologue russe de livrer une « guerre froide » à sens unique et au plus faible coût, Moscou sachant que son soutien inconditionnel à la dictature syrienne ne l’exposera à aucune rétorsion digne de ce nom de la part de Washington. Alors même que la Maison-Blanche campe publiquement sur son exigence d’un départ du maître de Damas sans jamais se donner les moyens de l’obtenir, le Kremlin met en scène sa mobilisation « anti-impérialiste » au profit du régime Assad, se gagnant ainsi les faveurs des autres autocrates arabes que le « lâchage » américain du président Moubarak en Égypte a gravement perturbés. Le véritable basculement intervient cependant avec la reculade américaine d’août 2013, quand Obama, malgré le bombardement chimique par Assad de banlieues insurgées de Damas, enterre sa propre « ligne rouge » (1).
Non seulement la Maison-Blanche n’a pas mis en œuvre ses engagements publics, mais elle négocie avec le Kremlin un accord de démantèlement de l’arsenal chimique de Damas, qui replace Assad au centre du jeu diplomatique. Un tel effondrement de la crédibilité occidentale convainc Poutine que les réactions à l’occupation de la Crimée ne seront pas plus vigoureuses. D’où, six mois plus tard, le début de l’agression contre l’Ukraine, d’abord avec l’annexion de la Crimée, puis avec la guerre du Donbass. L’intervention militaire directe de la Russie en Syrie est ainsi déclenchée, en septembre 2015, dans un contexte de « guerre non déclarée » de la Russie à l’Ukraine. Il faudra pourtant attendre l’« opération militaire spéciale » de 2022 pour que le parallèle s’impose entre les crises de Syrie et d’Ukraine, notamment du fait des similitudes entre le siège impitoyable de Marioupol et celui, six ans plus tôt, d’Alep, les techniques de guerre banalisées par la Russie en Syrie servant désormais à semer la terreur en Ukraine.
Deux héritiers toujours aux aguets
Le retard dans cette prise de conscience s’accompagne d’un aveuglement durable sur la parenté profonde qui prévaut entre « Vladimir Assad » et « Bachar Poutine », …
Ce site est en accès libre. Pour lire la suite, il vous suffit de vous inscrire.
J'ai déjà un compte
M'inscrire
Celui-ci sera votre espace privilégié où vous pourrez consulter à tout moment :
- Historiques de commandes
- Liens vers les revues, articles ou entretiens achetés
- Informations personnelles