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Barkhane : pourquoi a-t-on perdu ?

À Paris, c’est avec amertume que l’on regarde le Mali. En une décennie, on est, en effet, passé de l’euphorie à l’humiliation. En septembre 2013, François Hollande est à Bamako où il proclame, grisé par un illusoire succès contre les djihadistes : « C’est une grande victoire pour le Mali que nous fêtons aujourd’hui ensemble… Aujourd’hui, c’est tout le Mali qui a été libéré et qui est souverain sur l’ensemble de son territoire ! » Hélas, moins de dix ans plus tard, la réalité est tout autre. En février 2022, le colonel Abdoulaye, porte- parole du gouvernement malien, « invite les autorités françaises à retirer, sans délai, les forces Barkhane et Takuba du territoire national » (1). Une demande d’expulsion des troupes françaises que les autorités du Burkina Faso allaient reprendre à leur compte en janvier 2023. Que reprochent les putschistes à la France ? Essentiellement de n’avoir pas éradiqué les groupes djihadistes en dépit de l’élimination de 3 000 combattants (2).

En créant Barkhane, la France a suscité auprès de la population des attentes impossibles à satisfaire et a relégué les armées de ces pays dans une position de subalternes incapables de protéger leur nation. Avec 5 000 hommes seulement, nous avons laissé croire à ces États que nous pourrions restaurer la souveraineté sur leur territoire et apporter la paix. L’intervention française Serval en 2013, et sa transformation en opération Barkhane en 2014, était fondée sur un pari simple : détruire l’émirat islamique naissant dans l’Azawad au Nord-Mali, sécuriser et stabiliser la région afin de faire revenir l’État. L’espoir reposait sur la mise en œuvre de l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali, signé à Alger, en 2015. Or cet accord ne s’inscrira jamais dans les faits. Ainsi, si les forces françaises ont réussi à contrer provisoirement les groupes djihadistes entre 2013 et 2015, elles ne sont en revanche jamais parvenues à réinstaller l’État dans le nord du Mali. C’est l’inverse qui s’est produit : tout au long de la décennie, les djihadistes n’ont cessé d’étendre leur influence et d’agrandir les territoires sous leur contrôle.

Force est de constater que les troupes françaises n’auraient pas dû, après Serval, prétendre à un rôle de gendarme anti-djihadiste dans le Sahel. Leur présence n’a fait que galvaniser les djihadistes qui ont eu beau jeu de dénoncer la laïcité, le passé colonial et les racines chrétiennes de la France. Ils étaient quelques centaines en 2013 ; ils sont plusieurs milliers aujourd’hui. Pour Paris, qui met en avant les victoires tactiques remportées sur le terrain, la défaite n’est pas tant militaire que politique. Les autorités n’ont jamais su expliquer clairement et simplement aux populations de la région comment elles allaient s’y prendre pour vaincre les djihadistes dans le Sahel, une région cinq fois plus grande que la France. La vérité est que cette guerre était impossible à gagner car elle n’avait pas d’objectifs précis et compréhensibles. Cette absence de clarté a nourri toutes sortes de rumeurs sur les raisons secrètes de l’intervention …