Depuis que son mari, Ales Bialiatski, le plus emblématique des défenseurs des droits de l’homme biélorusses, a été arrêté et jeté en prison par le régime d’Alexandre Loukachenko en 2021, Natalia Pintchouk le représente à l’étranger. C’est elle qui a reçu en son nom le prix Nobel de la paix 2022 (un prix partagé avec l’ONG russe Memorial et le Centre ukrainien pour les libertés civiles). Tout comme Elena Bonner était venue à Oslo en 1975 pour recevoir le prix Nobel de la paix décerné à son mari Andreï Sakharov.
Natalia Pintchouk a repris le flambeau du combat pour la liberté. Elle défend en Occident la voix unique d’Ales Bialiatski qui fut le créateur, en 1996, de la première ONG dédiée à la défense des droits de l’homme, Viasna, dont la vocation est de fournir une aide juridique aux victimes des exactions du régime.
Après avoir été arrêté une première fois en 2011, Bialiatski aurait pu, comme l’ont fait de nombreux opposants biélorusses, quitter son pays pour poursuivre son travail de résistance à l’étranger. La plupart d’entre eux se sont installés en Lituanie ou en Pologne. Beaucoup gravitent autour de Svetlana Tikhanovskaïa, l’ancienne candidate à la présidentielle qui aurait sans doute été élue si le scrutin n’avait pas été émaillé de fraudes multiples et qui a pris la tête de l’opposition en exil. Mais Ales Bialiatski, qui a consacré sa vie à promouvoir la démocratie, a courageusement refusé de s’expatrier et a choisi de continuer de se battre sur place. Depuis son arrestation, Natalia Pintchouk a été contrainte, elle, de quitter la Biélorussie pour se réfugier dans un pays européen où elle continue, au sein de l’opposition, à défendre les prisonniers politiques et à lutter contre la dictature de Loukachenko.
Isabelle Lasserre — Qu’attendez-vous de la contre-offensive ukrainienne ?
Natalia Pintchouk — Tous nos espoirs, ou au contraire tous nos désespoirs, dépendent de la situation en Ukraine et du résultat de la contre-offensive. Si, comme je l’espère, les Ukrainiens sortent victorieux de la guerre, ce sera un bonheur. Pour moi personnellement, car cela voudra dire que mon mari est libéré. Mais aussi pour le peuple biélorusse, car cette victoire aura sans doute pour conséquence la fin du régime de Loukachenko, dont le sort est étroitement lié à celui de la Russie. Tous les prisonniers politiques retrouveront alors la liberté.
I. L. — Dans une telle hypothèse, quels sont les différents scénarios que vous voyez se dessiner pour la Biélorussie ?
N. P. — Je pense que si les Ukrainiens sont victorieux, les manifestations qui ont eu lieu en Biélorussie en 2020 se reproduiront. Mais avec plus d’ampleur et plus de force. Cela dit, il est irréaliste d’espérer une nouvelle rébellion populaire débouchant sur la chute de Loukachenko si les choses ne changent pas en Russie, tout simplement parce que le pouvoir est plus déterminé à utiliser la violence que ne le sont les démocrates. La répression a bien fonctionné : plus personne n’ose descendre dans la rue. Les scénarios, en fait, ne sont pas clairs. Le premier est un conflit militaire qui pourrait être déclenché avec le retour des combattants biélorusses qui se battent aux côtés des Ukrainiens et qui sont soutenus par le peuple biélorusse. Le deuxième est l’effondrement du pouvoir russe. Si la Russie perd la guerre, le régime poutinien deviendra si faible qu’il s’écroulera sur lui-même et entraînera dans sa chute celui de Minsk. Il y a, bien sûr, un autre scénario, beaucoup plus sombre, celui d’une défaite de l’Ukraine. Dans ce cas, la Biélorussie s’éloignera encore plus de la démocratie, de la liberté et de l’Occident. Quant aux prisonniers politiques, ils resteront en prison et leurs peines seront alourdies. Et Vladimir Poutine fera tout pour imposer une transition contrôlée du pouvoir en Biélorussie le jour où la question se posera.
I. L. — Que sait-on du soutien des forces de sécurité à Loukachenko ? Y a-t-il des divisions, des actes de rébellion ? Est-il possible d’imaginer qu’une partie d’entre elles se retourne contre le régime ?
N. P. — Il est très difficile de savoir si ces forces sont divisées et si elles pourraient un jour se retourner contre Loukachenko, ne serait-ce que parce qu’il n’y a pas de sondages en Biélorussie et que la parole n’y est pas libre. En 2020, des policiers avaient manifesté contre le régime. Ils ont été arrêtés et emprisonnés pour trahison. Quand la situation commencera à changer, on verra sans doute apparaître une autre image des forces de sécurité biélorusses. Mais, pour l’heure, aucune voix dissidente ne peut s’exprimer. Loukachenko est très méfiant vis-à-vis de ses proches. Il ne conserve auprès de lui que les plus dignes de confiance et les plus dévoués. Tous ceux sur lesquels il a le …
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