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Le berlusconisme sans Berlusconi

Antonio Tajani, 70 ans, est l’un des hommes politiques les plus expérimentés d’Italie (1) et le plus francophile des vingt-cinq ministres du gouvernement présidé par Giorgia Meloni depuis octobre 2022 — un gouvernement de coalition constitué de Fratelli d’Italia, de Forza Italia et de la Ligue. Coordonnateur national de Forza Italia, le parti de Silvio Berlusconi dont il a été l’homme de confiance et le conseiller pendant des années, il incarne la continuité.

À l’annonce de la mort du Cavaliere, à l’âge de 86 ans dans un hôpital de Milan, il a quitté précipitamment Washington où il s’entretenait avec le secrétaire d’État Antony Blinken pour participer le 14 juin, visiblement ému, aux funérailles nationales célébrées en la cathédrale de Milan. Dès le lendemain, à Rome, lors d’une conférence de presse au siège de Forza Italia, sous une immense photo du leader disparu, Antonio Tajani a lu un message par lequel l’aînée du clan — Marina Berlusconi, à qui son père avait confié la gestion de sa holding Fininvest et de son image — lui réaffirmait son total soutien et sa pleine confiance.

La famille Berlusconi trouve en Antonio Tajani un allié précieux, fidèle et prévisible dans ses réactions. De surcroît, il est un gage de crédibilité sur la scène européenne et internationale : deux fois commissaire européen (aux Transports, puis à l’Industrie), président du Parlement européen de 2017 à 2019 et vice-président du Parti populaire européen (PPE – démocrate-chrétien) à Strasbourg, Antonio Tajani est un homme de réseaux et de consensus, un diplomate habile et affable. Loyal dans ses alliances, il l’a prouvé dans sa relation avec Giorgia Meloni, dont il épouse les orientations tout en lui suggérant des axes d’intervention sur l’Europe, l’Ukraine et l’Afrique. Sur l’immigration, Antonio Tajani l’a convaincue de mener une politique plus incisive en direction des pays d’Afrique du Nord et du Sahel. S’agissant des relations avec la France, il a réagi vivement aux propos « inacceptables » tenus le 4 mai par le ministre français de l’Intérieur Gérald Darmanin qui avait accusé le gouvernement Meloni d’être « incapable de régler les problèmes migratoires », n’hésitant pas à annuler sur-le-champ une visite à Paris (2). Il a fallu tout le savoir-faire diplomatique de Catherine Colonna, avec qui Tajani entretient des relations chaleureuses, pour renouer les fils trois semaines plus tard.

L’Europe reste au cœur de ses préoccupations. Tajani ne manque jamais une occasion de le rappeler : le 7 juin, dans une tribune signée avec Manfred Weber, président du groupe PPE à Strasbourg, il appelait cette Europe à réaffirmer « ses racines communes et ses valeurs chrétiennes ». Quant à l’Ukraine, il répète qu’il « faut l’accompagner » jusqu’à son adhésion à l’Union européenne parce que l’agression de la Russie représente « un danger existentiel pour le Vieux Continent et pour la sécurité mondiale ».

Aujourd’hui, l’ambition de Tajani est de faire vivre l’héritage du berlusconisme sur la scène tourmentée du théâtre politique italien : « Comme il y a les gaullistes, il doit y avoir désormais les berlusconiens », dit-on dans son entourage. Dans l’immédiat, la disparition de Berlusconi ne devrait pas bouleverser les équilibres au sein de la coalition qui gouverne l’Italie. En attendant les élections européennes de juin 2024, Giorgia Meloni, qui présidera le G7 l’an prochain, veut préserver les 30 % de sa formation Fratelli d’Italia (FDI – Frères d’Italie). Son maître mot est : stabilité au sein de l’exécutif. Elle compte sur Forza Italia (7 %) pour contrebalancer les humeurs capricieuses de la Ligue de Matteo Salvini (8 %).

Mais que deviendra la coalition gouvernementale si Forza Italia ne parvient pas à maintenir, voire à améliorer son score électoral ? Dans un tel cas de figure, on ne saurait exclure un éclatement du parti berlusconien, une large fraction de ses troupes se ralliant alors à la présidente du Conseil…

Richard Heuzé — Vous faites partie d’un gouvernement de coalition dirigé par Giorgia Meloni, perçue en France comme étant d’extrême droite. Cette étiquette vous pose-t-elle problème ? Antonio Tajani — Le terme « extrême droite » est trompeur. Nous sommes, en réalité, une coalition de partis politiques résolument pro-européens et atlantistes. Nous avons réaffirmé le rôle moteur de l’Italie dans les zones prioritaires pour nos intérêts que sont les Balkans occidentaux et la Méditerranée. Nous avons intensifié nos relations avec les pays fournisseurs de gaz qui peuvent sécuriser nos approvisionnements énergétiques et sommes décidés à prendre à bras-le-corps la question des flux migratoires en vue de faire de l’Italie une plateforme stratégique pour toute l’Union européenne.

 

R. H. — La pression migratoire constitue une préoccupation majeure pour votre coalition. Pensez-vous que, malgré l’opposition des pays du Nord et du groupe de Visegrad (3), l’Europe puisse modifier les règles comme le demande l’Italie depuis des années ?

A. T. — La pression migratoire ne concerne pas seulement l’Italie, mais tous les pays de l’Union européenne. Nous continuons à faire face à une situation sans précédent en Méditerranée centrale. Avec plus de 100 000 arrivées en 2022 — et une augmentation considérable dans les premiers mois de 2023 —, l’Italie, ainsi que les autres grands pays qui gèrent la frontière sud de l’Europe sont en première ligne.

Face à un phénomène qui implique à la fois les pays d’origine, de transit et de destination, il faut un engagement concret, une vraie action commune pour stabiliser les flux et démanteler les réseaux de trafiquants. Dans le respect des droits de l’homme, bien sûr.

R. H. — Qu’a fait votre gouvernement depuis son arrivée au pouvoir en octobre 2022 pour endiguer ce déferlement ?

A. T. — L’Italie a renforcé sa coopération avec les principales régions d’origine et de transit — l’Afrique du Nord (Libye et Tunisie, notamment) et le Sahel — afin de prévenir les départs illégaux et d’offrir des solutions alternatives aux migrations. Nous nous sommes engagés à ouvrir des canaux d’entrée complémentaires qui ont, jusqu’à présent, permis de transférer vers l’Italie environ 7 000 personnes bénéficiant d’une protection internationale de manière légale et sécurisée.

Il faut maintenant renforcer cette coopération avec les pays d’origine et de transit, mettre en œuvre une réforme globale de la politique de migration et de l’asile, reconnaître la spécificité des frontières maritimes, le tout assorti de financements européens adéquats. Ces mesures doivent s’accompagner d’un plan européen d’investissements publics et privés pour l’Afrique. Ce n’est pas, vous en conviendrez, un objectif très aisé à atteindre !

R. H. — Diriez-vous que l’Italie est isolée ou incomprise en Europe ?

A. T. — Je ne dirais pas cela. Si j’en juge par mes contacts récents, en particulier à Bruxelles, nos préoccupations ont été écoutées et prises en considération. Les États membres et les institutions communautaires sont plus conscients que par le passé du fait que la question migratoire, je le répète, n’est pas seulement une question italienne, …