Denis Bachelot — Quels sont les enjeux géo-économiques de la confrontation entre ces deux grandes puissances que sont les États-Unis et la Chine ?
Christian Saint-Étienne — Nous assistons en réalité à deux conflits simultanés : un conflit classique entre un pouvoir dominant et un pouvoir ascendant, scénario que l’on qualifie aujourd’hui de
« piège de Thucydide » en référence au fameux choc entre Athènes et Sparte, évoqué par le grand historien grec ; et un conflit géo- économique pour la suprématie dans la révolution industrielle que nous vivons depuis les années 1980, la troisième après celle de la vapeur et de l’électricité. Cette révolution, fondée sur l’informatique et le numérique, a totalement transformé le système économique et financier mondial et a débouché sur une oligopolisation du monde. Les enjeux industriels poussent à la concentration des moyens de production dans les mains d’acteurs puissants et archi- dominants ; c’est le phénomène des GAFAM aux États-Unis ou des BATHX (1) du côté chinois. Le contrôle de ces oligopoles est l’un des défis majeurs de la mutation géo-économique en cours.
D. B. — Ces enjeux concernent l’ensemble des acteurs de l’économie mondiale, au-delà de la confrontation entre les deux géants…
C. S.-É. — Il faut bien comprendre que cette transformation de la géo-économie mondiale est au cœur du conflit Chine/États-Unis. Les GAFAM et les licornes américaines, c’est-à-dire les sociétés innovantes de plus d’un milliard de dollars de capitalisation, dominent l’ensemble du monde occidental en termes de maîtrise et de transformation des données. Les BATHX et les licornes chinoises, elles, contrôlent le monde chinois et s’imposent de plus en plus dans l’espace asiatique. Ces oligopoles règnent sur une masse d’un peu plus d’un milliard d’individus de part et d’autre — les classes moyennes et moyennes supérieures de la mondialisation qui peuvent dépenser plus de 1 000 dollars par an de services informatiques sous forme d’abonnements. Ils se battent pour attirer à eux le troisième milliard de consommateurs appelés à devenir de nouveaux acteurs du numérique. La compétition Chine/États-Unis est donc à la fois économique, industrielle et technologique, d’un côté, géostratégique et militaire, de l’autre. Les deux dimensions sont étroitement liées, car la puissance politique et militaire est entièrement dépendante de la puissance économique et technologique.
D. B. — Quelles sont les forces et les faiblesses des deux parties ?
C. S.-É. — Sur le plan de la révolution informatique, dont ils ont été les principaux acteurs, les États-Unis disposent d’une force considérable. Les géants américains contrôlent les applications numériques, la gestion des systèmes informatiques et la conception des microprocesseurs. Les États-Unis sont encore la puissance dominante sur le plan technologique, mais perçoivent désormais comme une faiblesse le fait d’avoir largement délocalisé la production des puces électroniques, même si celle-ci est concentrée à Taïwan et en Corée du Sud, qui sont des alliés inconditionnels de l’Amérique. Quand on sait que Taïwan fabrique aujourd’hui à peu près la moitié des microprocesseurs utilisés dans le monde et 80 % des microprocesseurs de dernière génération (moins de …
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