« Si nous échouons dans notre politique commerciale, nous risquons d’échouer tout court. Notre emploi domestique, notre niveau de vie, notre sécurité et la solidarité du monde libre en subiront les conséquences. »
Message spécial au Congrès sur la politique économique étrangère 30 mars 1954, Eisenhower.
Le commerce, selon la pensée classique en économie, est une affaire froide qui exige des calculs raisonnés et non une répartition des partenaires commerciaux entre « amis » et « ennemis ». Il n’empêche : les ambitions croissantes de la Chine et l’obstination avec laquelle Xi Jinping avoue vouloir détruire les valeurs occidentales obligent à envisager une autre approche.
Certes, il serait irréaliste de suggérer que l’on rompe tous les liens commerciaux avec le deuxième marché planétaire, mais le monde libre n’en doit pas moins revoir sa politique commerciale avec Pékin s’il ne veut pas, comme le disait le président Eisenhower, « échouer tout court ». D’ailleurs cette révision doctrinale est peut- être déjà en marche. Washington et certains de ses plus proches alliés ont, en effet, ravivé depuis peu le concept d’« ami » pour inaugurer un nouveau paradigme du libre-échange : le « friendshoring » (le « commerce entre amis »). À l’heure où les tensions sino-américaines deviennent incandescentes, force est de reconnaître qu’il s’agit bien là d’une stratégie de défense des valeurs démocratiques…
Du commerce entre amis
Le 13 avril 2022, devant le think tank Atlantic Council, spécialisé dans les affaires internationales, la secrétaire au Trésor américaine Janet Yellen a annoncé une nouvelle approche de l’économie mondiale, à peine sortie du Covid-19 et fragmentée par l’invasion brutale de l’Ukraine par la Russie : « Nous ne pouvons pas permettre aux pays d’utiliser leur position sur le marché (…) pour perturber notre économie ou exercer un effet de levier géopolitique indésirable », a-t-elle déclaré, affirmant qu’il faut « approfondir l’intégration économique avec les pays sur lesquels nous savons pouvoir compter » en favorisant de nouvelles chaînes d’approvisionnement axées, dit-elle, sur le friendshoring.
Questionnée sur ce terme, nouveau venu dans le vocabulaire géopolitique, l’ancienne professeure d’économie à Harvard a précisé : « Il y a un groupe de pays qui adhérent fortement à un ensemble de normes et de valeurs sur la façon d’opérer dans l’économie mondiale et sur la façon de gérer le système économique. »
Le néologisme de l’ancienne présidente de la Fed a trouvé un écho enthousiaste chez la ministre des Finances du Canada, Chrystia Freeland qui déclarait deux mois plus tard que, après trente-trois ans d’« optimisme joyeux », de la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989 à l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022, le monde entre désormais dans « l’ère du friendshoring ».
Basé sur la « confiance » et les « valeurs communes », selon Mme Freeland, le friendshoring relègue, de fait, au second plan le rôle du marché. De quoi attiser le feu des critiques de ceux qui croient encore aux vertus de la mondialisation et du doux commerce, parmi lesquels …
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