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50 ans après la guerre du Kippour : quelles leçons pour l'Ukraine ?

Certains anniversaires géopolitiques passent inaperçus. La quatrième guerre israélo-arabe, déclenchée le 6 octobre 1973 par l’Égypte et la Syrie contre l’État juif, compte parmi ces conflits oubliés. La première, dite d’Indépendance d’Israël, vit en 1948- 1949 le jeune État hébreu gagner sa survie ; la deuxième, celle de Suez, avait impliqué en 1956 la France et le Royaume-Uni, relégués par Moscou et Washington au rang de puissances secondaires ; et la troisième, celle des Six-Jours en 1967, modifia substantiellement les données territoriales et politiques de la zone, au point que ses conséquences géopolitiques prévalent encore aujourd’hui. La guerre du Kippour (appelée guerre d’Octobre par les Arabes) fut plus localisée et ne concerna pas le brûlant dossier palestinien. Qui se souvient que ce conflit occasionna le premier choc pétrolier — lui-même déclencheur de la grande crise économique succédant aux Trente Glorieuses dont l’Occident ne sortit jamais tout à fait —, mais aussi la première paix israélo-arabe et l’assassinat d’au moins un grand leader proche-oriental, Anouar el-Sadate ? En outre, un demi-siècle après son avènement, trois types de leçons essentielles et très contemporaines sont toujours à tirer de la guerre du Kippour, notamment au regard de celle qui fait rage en Ukraine depuis 2022.

Cinq leçons militaires

« La géographie, ça sert d’abord à faire la guerre »

La célèbre assertion du géographe et concepteur de la géopolitique moderne, Yves Lacoste, est presque contemporaine de la guerre du Kippour. Dès 1976, en effet, le fondateur de la revue Hérodote rappelait une réalité sempiternelle : aucune surface terrestre n’est tout à fait identique aux autres, et les contextes hydriques, climatiques, géologiques et topographiques entrent systématiquement en ligne de compte dans la manière de penser le stratégique et d’engager le militaire (1).

Le 6 octobre 1973, c’est à 14 heures que les Égyptiens lancent leur offensive, de façon à forcer les Israéliens à se battre face au soleil, comme ces derniers avaient attaqué le 5 juin 1967 au soleil levant ! Le canal de Suez est au cœur des combats israélo-égyptiens, et le transit naval est interrompu, d’où un renchérissement des coûts de navigation (le tour de l’Afrique), de livraison et/ou d’exportation. De la même manière, en 2022, la Russie, dont la flotte contrôle la mer Noire, bloque l’exportation de la gigantesque production céréalière de l’Ukraine — le Danube devenant une voie de recours —, et les détroits turcs reprennent une importance capitale. La comparaison ne s’arrête pas là. En octobre 1973, les forces israéliennes d’Ariel Sharon traversent le canal pour encercler et acculer la IIIe armée égyptienne ; en octobre 2022, les forces russes de Sergueï Choïgou se replient derrière le large fleuve Dniepr pour échapper à la contre- offensive ukrainienne précédant… l’arrivée des pluies et de la boue automnales. En 1973, la bataille la plus acharnée a pour objectif la conquête d’un sommet montagneux (le mont Hermon) dominant toute la région ; en 2022, les forces russes détruisent un barrage pour constituer une zone marécageuse à des fins défensives, avant qu’à l’été …