Ivan Timofeev est l’un des experts russes de géopolitique les plus en vue. Il occupe depuis 2023 le poste de directeur du « Conseil russe pour les affaires internationales » (RIAC), un think tank de premier plan créé en 2010 sur ordre du président (à l’époque Dmitri Medvedev) afin d’alimenter en analyses et en conseils la diplomatie russe. Parmi les fondateurs de l’organisation, on trouve le ministère des Affaires étrangères, le ministère de l’Éducation et de la Recherche, l’Académie des sciences et l’Union des industriels et des entrepreneurs. Il s’agit donc de l’un des principaux outils au service de la politique étrangère du Kremlin.
Professeur de théorie politique à l’Institut d’État des relations internationales de Moscou (MGIMO), grand lieu de formation des diplomates et des élites russes, Timofeev est, en outre, directeur des programmes du club Valdaï et responsable du volet « Instituts de sécurité euro-atlantique ». Fondé en 2004, le club Valdaï est connu pour organiser, chaque année, un grand rendez-vous géopolitique accueillant des personnalités du monde entier, invitées en Russie pour débattre de l’actualité et chercher ensemble « des solutions à des problèmes mondiaux ». C’est aussi l’occasion, pour les autorités russes, de diffuser leur vision du monde : Vladimir Poutine et autres éminents responsables politiques sont toujours fidèles au rendez- vous.
Auteur de dizaines de livres et d’études scientifiques publiés en Russie mais aussi à l’étranger, Ivan Timofeev se trouve ainsi au cœur des grandes structures de la Fédération de Russie qui orientent et analysent la politique étrangère du pays. Sa vision est, de ce fait, assez représentative d’un certain consensus géopolitique sur le dossier russo-ukrainien — un consensus qui est, depuis le début de la guerre, de mise dans ce vaste réseau d’experts, même si, comme on le verra, des désaccords ponctuels peuvent subsister. Avec la retenue et la prudence qui lui sont coutumières et qui contrastent avec le ton souvent exalté de certains diplomates et hommes politiques russes, Ivan Timofeev livre à Politique Internationale sa perception de l’évolution et de l’issue possible de ce conflit qui s’est noué en 2014 et qui risque de demeurer une plaie ouverte en Europe pendant encore longtemps.
N. R.
Natalia Routkevitch — Selon certains observateurs, la contre- offensive estivale de l’Ukraine rendrait plus claires les conditions d’un éventuel accord de paix. Partagez-vous cette analyse ?
Ivan Timofeev — Il me semble qu’il n’y a toujours pas de « clarté », comme vous dites, sur les éventuelles conditions et le calendrier de la fin du conflit entre la Russie et l’Ukraine. L’offensive estivale de l’armée ukrainienne, qui a été très médiatisée en Occident, semble avoir fait long feu. Concrètement, cela signifie que l’Ukraine et les pays qui la soutiennent ne seront pas en mesure d’imposer leurs vues à Moscou. Non seulement en raison de l’échec de l’offensive, mais aussi parce que les sanctions économiques, même si elles sont douloureuses, n’ont pas provoqué l’effondrement de l’économie russe. En outre, l’Occident n’a pas réussi à isoler politiquement la Russie sur la scène internationale. Je ne vois donc pas comment le « plan Zelensky » (1) pourrait être couronné de succès. Dans le même temps, ni l’Occident ni Kiev ne semblent prêts à prendre en compte les intérêts et les demandes de Moscou. Peut-être changeront-ils d’attitude en cas d’évolution sur le théâtre des opérations…
N. R. — En 2023, plusieurs initiatives diplomatiques visant à définir des lignes communes pour un accord de paix ont été lancées par divers pays désireux de jouer les intermédiaires entre Moscou et Kiev. Ont-elles une chance d’aboutir ?
I. T. — Effectivement, un certain nombre de propositions ont été formulées par la Chine, l’Indonésie, les pays africains… Le problème, c’est qu’elles nécessitent toutes le consentement des parties au conflit et qu’elles impliquent des compromis qui, pour le moment, je le répète, ne sont à l’ordre du jour ni à Kiev ni à Moscou. La conférence de Djeddah (2) s’est déroulée sans que la Russie y soit conviée et s’est, en fait, concentrée sur le « plan Zelensky ». Or il est évident que la Russie n’acceptera aucun projet discuté sans sa participation et qui ne tiendrait pas compte de ses positions.
N. R. — Parmi ces propositions, certaines vous semblent-elles plus réalistes que d’autres ?
I. T. — Je reste sceptique quant au succès de tous ces scénarios, pour la raison que je viens d’évoquer : jusqu’à présent, chacune des deux parties refuse de prendre en compte les intérêts et les exigences de l’autre. On dirait que les deux partent du principe qu’ils sont en mesure d’obtenir des avantages sur le terrain militaire ou dans le domaine de l’économie et de la disponibilité des ressources. Chaque belligérant est prêt à poursuivre le combat. Il est également possible que chacun pense que le temps joue en sa faveur. Dans ces conditions, toute proposition, même la plus constructive, est vouée à rester lettre morte.
N. R. — Aujourd’hui, que veut exactement la Russie ? Selon vous, quelles concessions pourrait-elle faire et quelles sont celles qu’elle n’est pas prête à envisager ?
I. T. — La position officielle est connue de tous. À mon avis, l’essentiel de l’exigence russe, c’est la …
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