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La Moldavie à l'ombre du géant russe

La Moldavie, petit pays pauvre de 2,6 millions d’habitants, enclavé entre l’Ukraine et la Roumanie, a toujours vécu sous la menace russe. Plus encore depuis l’élection, fin 2020, de la pro- européenne Maia Sandu à la présidence. Passée par Harvard, la Banque mondiale et le ministère moldave de l’Économie, cette femme si frêle et si douce d’apparence, mais dotée d’une poigne de fer, a obtenu une large victoire sur les prorusses et l’oligarchie russophile. Depuis, celle qu’on appelle parfois la « Jeanne d’Arc moldave » s’efforce d’ancrer le pays dans le camp européen, de l’éloigner de la Russie, de consolider la démocratie et l’État de droit. Elle a promis de « faire le ménage » et de s’attaquer, sans états d’âme, à la corruption. Son programme de réformes, la grande qualité des membres de son gouvernement et l’appui des Européens — notamment celui d’Emmanuel Macron, qui l’a toujours soutenue et qui a organisé à Chisinau la dernière réunion de sa Communauté politique européenne (CPE) — ont permis au pays de progresser rapidement. En juin 2023, la Moldavie a obtenu, avec l’Ukraine, le statut de pays candidat à l’Union européenne, que Maia Sandu ambitionne de rejoindre en 2030. Mais les obstacles sont encore nombreux. L’économie, qui subit les conséquences de la guerre en Ukraine, en particulier l’afflux de très nombreux réfugiés, peine à se développer. Quant au conflit gelé en Transnistrie, cette région sécessionniste qui a choisi le camp de Moscou en 1992 et où vivent 300 000 habitants à l’est du pays, il reste un abcès que personne n’a jusqu’ici réussi à résorber. Contrairement aux Ukrainiens pour qui le choix de l’Europe fait consensus, la population moldave est plus partagée. Une situation que le Kremlin tente d’exploiter à son avantage en menant contre le gouvernement moldave une guerre hybride dans le but de l’affaiblir, voire de le faire tomber.

I.  L.

Isabelle Lasserre — Quel est l’état de la menace russe contre la Moldavie ? A-t-elle évolué depuis le début de la guerre en Ukraine ?

Maia Sandu — Aujourd’hui, grâce à la résistance ukrainienne, la menace d’une invasion militaire russe a quasiment disparu. La Russie a été obligée, depuis le début de la guerre, de maintenir ses forces loin de nos frontières. Nous sommes donc plus sereins qu’avant, et nous devons cette relative tranquillité aux soldats et au peuple ukrainiens. C’est la raison pour laquelle nous nous mobilisons pour les aider à gagner cette guerre. Nous avons aussi accueilli un grand nombre de réfugiés ukrainiens. Mais, bien que la menace directe se soit éloignée, nous devons toujours faire face à des attaques hybrides de la part de Moscou. En 2022, le Kremlin a recouru au chantage énergétique en décidant de réduire de 60 % ses livraisons de gaz alors même que nous réglions toutes nos factures. Depuis, nous avons réussi à trouver des solutions de rechange et, aujourd’hui, à l’exception de la Transnistrie, la Moldavie est devenue indépendante du gaz russe. Au début de l’année, la Russie a de nouveau essayé de déstabiliser notre pays. Le plan consistait à fomenter de violentes manifestations, à s’emparer de bâtiments officiels et à organiser des prises d’otages. Nous avons déjoué cette tentative de coup d’État. Nos institutions ont tenu bon : les manifestations ont été circonscrites et nous avons empêché l’entrée en Moldavie d’agitateurs venus de l’étranger pour renverser le gouvernement.

I. L. — Et aujourd’hui ?

M. S. — Bien sûr, nous sommes toujours victimes de multiples opérations de désinformation et de propagande. La Russie s’appuie sur des milieux corrompus, à l’intérieur du pays, pour faire capoter les réformes de nos institutions. Elle désorganise aussi les élections et fait tout pour enrayer le processus démocratique. Nous sommes conscients que ces risques vont aller croissant, d’autant que nous avons des élections locales à l’automne, présidentielles en 2024 et parlementaires en 2025. Nous savons que ces tentatives de déstabilisation ne cesseront pas, car l’objectif du Kremlin, pour nous garder sous son contrôle, est de porter au pouvoir à Chisinau une force politique qui lui soit favorable et qui lui permette d’utiliser la Moldavie contre l’Ukraine. L’objectif, à l’évidence, est d’empêcher la Moldavie de rejoindre le camp des démocraties et de l’obliger à se ranger du côté des forces qui combattent l’Occident.

I. L. — La menace intérieure, celle des mouvements prorusses de Moldavie, a-t-elle elle aussi évolué ?

M. S. — Elle est toujours là, représentée d’un côté par des hommes politiques prorusses très convaincus et, de l’autre, par des Moldaves qui croient sincèrement que la Russie n’est pas responsable de la guerre en Ukraine. Nous devons mieux lutter contre ces opérations de propagande et contre les « fake news » diffusées par les relais du Kremlin dans notre société. Tout le monde dans mon pays, chaque Moldave, qu’il regarde vers l’ouest ou vers l’est, est très attaché à la paix et entend la …